Vu que j'ai beaucoup tapé sur le formatage et la VIPisation de Depardieu par des genres trop avides de variations, c'est avec une surprise d'autant plus grande que je découvre La Tête en friche, où il renoue avec le rôle d'un vieux cancre à la Boudu, mais avec tellement, tellement plus de classe.
Il redevient le fort caractère à la Berri, mais poétique et pleinement naïf. Rien ne peut aller vraiment mal dans sa vie, et c'est d'un optimisme qui peut rebuter. Mais pas moi : emporté par des sentiments simples qui remplissent tellement l'écran que le film donne l'impression d'en faire trop, son personnage finit, à force de routine, par élargir son cadre et donner à toute chose la place qu'elle se doit d'occuper ; les autres personnages se reflètent en lui, sorte de centre du monde ahuri, dans une composition parfaite où un humour perçant, attachant et intelligent jaillit où on l'attend le moins.
Le bar, la maison de sa mère, la caravane où une amante décidément peu exigeante le retrouve, et surtout le banc où il retrouve Gisèle Casadesus qui joue son vrai âge de 95 ans et l'appelle « jeune homme », ce sont autant de lieux où l'on apprendra à passer outre ses apparences de rouspéteur. Surtout Becker a le génie de ne pas faire de son film la capsule de nostalgie facile adressée au troisième âge, ce qu'il est en vérité rudement ardu de ne pas faire quand on associe la candeur à un casting qui est, euh… mûr.
L'apport principal de cette maturité, c'est justement le détachement de toute considération sur l'âge, notamment du fait que l'idiot attachant de Depardieu ne change pas avec le temps : il se découvre juste. On comprend qu'il a toujours été poète sans le faire exprès et spirituel sans le savoir, même si tout repose ici, un peu trop simplement, dans l'écriture de son personnage.
Hurlant silencieusement qu'il n'est jamais trop tard pour commencer, il donne à la vie humaine la hauteur qu'elle n'atteint qu'au meilleur de longues décennies de sagesse – et l'audience la plus jeune ne sera pas tenue à l'écart de cette douce dignité qu'il y a à trouver dans les mots de quoi voyager. Un des meilleurs films français de la décennie à mon sens.
→ Quantième Art