La mer, la mère, la Tortue Rouge

La mer, la mère, la Tortue Rouge...

Elle assiste, dans le tumulte des eaux, à la naissance de l'Homme. Sous le trait fin de l'artiste, il s’échoue sur le sable. Déjà, alors que son existence ne fait que débuter, l'Homme se sent acculé : par ses sens, la chaleur de son existence, la pluie de ses espérances. Il erre, découvre, appréhende, apprend. Il déguste ses premiers fruits, apprécie la délicatesse de l'eau et la caresse du vent. Chaque excursion est une épreuve où il arrive de tomber. Chaque chute est un apprentissage où il est nécessaire de persévérer.

D’instinct l'Homme désire se surpasser, aller vers l'horizon et quitter les terres qui l'ont vu grandir. Pourtant, sans relâche, la mer avale l'espoir et recrache les restes. Chaque épreuve rencontrée sur le chemin voit s'amenuiser les forces de l'Homme qui pourtant dans sa jeunesse se veulent conquérantes.

...la mer, la mère, la Tortue Rouge...

Elle veille aux épreuves nécessaires à l'initiation. Muette dans sa sagesse, elle attend le moment propice pour sortir de la mer et devenir mère. L'Homme n'est alors qu'un spectateur, en premier lieu de sa colère et de son amertume, puis de sa compassion et de sa tristesse. C'est au moment où la tristesse rejoint l’allégresse que la mort se fissure pour laisser place à la vie.

Le temps passe et les étapes se suivent, de l'enfant insouciant, à la prise de conscience, les jours se succèdent, non sans adversité. La nature parfois reprend ses droits et invite l'Homme à l'humilité.

Puis le temps passe et les Hommes trépassent.

...la mer, la mère, la Tortue Rouge…

Elle protège l'Homme et l'humanité et s'en retourne à la mer. Deviendra-t-elle mère à nouveau ? C'est une certitude. Le cycle est inéluctable et la Tortue Rouge sommeille en attendant l'éveil.

...la mer, la mère, la Tortue Rouge.

------------------------------------

Tout comme l'Homme, nos sens sont en alerte. La beauté du trait n'a d'égal que celui du message sous-jacent. Métaphore géante de l'existence, la Tortue Rouge est un conte initiatique épuré qui approche le Beau. Sans une parole, la rendant instantanément universelle, l’œuvre de M. Dudok de Wit est un message lancé à l'Humanité. Porté par une musique magnifique (quoi que parfois trop appuyée au regard de la simplicité voulue de l'ensemble), La Tortue Rouge nous invite au voyage de tout Homme. On reste un temps sur son siège, la tête perdue dans l'océan et l'on contemple les paysages.

Cette bulle, bouée salvatrice de nos inquiétudes, trois-mats conquérants de nos émotions fait écho aux intouchables sacrés du studio Ghibli. La nature est reine, l'Homme y vit mais ne la possède pas. Telle est la règle, telle est leur croyance. Quelle sera la votre ?

La mienne est au côté de la mer, la mère, la Tortue Rouge.

« Faire les doux yeux sans parler, C'est faire l'amour en tortue » Mathurin Régnier