La beauté se regarde, pas besoin d'en parler

Ces derniers temps, on pouvait voir assez nettement un nouvel essor dans l’animation française, qu’elle soit d’auteurs ou plus « commerciale ». Alors que Le Monde de Dory rafraîchit la mémoire du public, un autre film, plus discret, primé cette année même à Cannes, renforce la tendance, sans faire preuve d’aucune rivalité. Il faut dire que les deux n’ont rien à voir, même s’ils sortent tout droit de l’océan. Avec La Tortue Rouge, Michael Dudok de Wit tisse des liens entre une poésie épurée et un récit d’apprentissage pétri de symbolisme. Le tout illuminé par une animation merveilleuse.
Personne n’a de nom, personne ne parle. Pendant une heure vingt. L’histoire commence par une tempête spectaculaire, où un naufragé se débat, impuissant, face aux éléments. Il en sera de même jusqu’à la fin, la nature restera maîtresse du monde quoique l’homme fasse. Il est d’ailleurs désespéré au début, et essaie même de maîtriser son environnement pour s’en échapper. Sur cette île déserte, c’est le spectre de sa propre solitude qui le hante. Mais une tortue rouge le retient prisonnier, coulant son radeau à chaque tentative. Que représente-t-elle ? La vie, tout simplement. L’homme rencontre une grande femme aux superbes cheveux roux, il l’aime. Ils ont un enfant qui va grandir. Dès lors qu’il a accepté son sort, la tortue rouge disparaît. Le mutisme des personnages renforce ainsi la beauté des paysages, leur grandeur, grâce à une technique « à l’ancienne » qui utilise l’aquarelle et le fusain pour chaque dessin. Seule la musique s’ajoute à ce spectacle visuel d’une pureté absolue, une musique vibrante, émotive. Certes, l’absence de dialogues fait parfois cruellement défaut, mais elle souligne la certaine « futilité » de la parole, laissant libre champ aux sentiments, aux émotions. Une petite famille où l’homme aime la femme, où cette dernière devient même sa raison de vivre, et où l’enfant part une fois adulte, laissant ses origines derrière lui. La vie suit son cours, naturelle, cruelle parfois, à aucun moment réprouvée par l’homme. C’est la délicatesse de cet amour, de cette tendresse, qu’on admire, comme cette caresse voluptueuse que la femme donne à son mari, avant que ce ne soit lui qui la rassure.
Ce n’est pas qu’une simple fable écolo qui énonce que la nature est précieuse et qu’il faut la préserver. Le réalisateur a eu la finesse de traiter ce sujet avec une élégance notoire, épurée comme ses courts – métrages. Cependant, on ne sait pourquoi, La Tortue Rouge semble souffrir de son principal atout, entendons donc son aspect mythologique sur la destination de la vie. Car cela lui enlève tout autre issue, de cette histoire de naufrage qui, finalement, finit bien, à cet amour presque caché. C’est cette pudeur à l’écart des corps, de leur attirance que l’on ne voit presque pas. L’amour paraît réduit à une nécessité d’enfanter, comme si l’instinct dominait la raison. Après le baiser – filmé de loin – on voit un enfant déambuler sur la plage. Peut-être est-ce ainsi que nous pouvons vivre en accord avec la planète : en avouant avec humilité que nous ne sommes pas les maîtres, et qu’il faut accepter le hasard, faire confiance à un avenir meilleur. Et suivre, librement, ces tortues, à la rencontre de l’amour, de la vie…et de la mort.

ScreenScene
7
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le 16 juil. 2016

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