SensCritique: le Twitter des cuistres et l'apocalypse des réseaux sociaux

SensCritique est un outil très pratique, car il permet de cartographier son avancement cinématographique, littéraire, musical et j'en passe.

Et c'est à peu près tout. Tout le reste est balayé par un problème majeur: l'immédiateté. Rien que le fait d'attribuer une note à une oeuvre est une insulte. Les plus courageux écrivent une critique plus ou moins bien formulée pour expliquer ce chiffre brumeux. Personne ne la lira, pour la raison excellente qu'elle est sûrement mal écrite, à moins de s'appeler Sergent Pepper. Elle en vérité davantage un exutoire pour son auteur qu'un argumentaire soigné, informé et pertinent.

Là où la comparaison avec le forum ne tient pas, c'est le profil de l'utilisateur, qui est en vérité une vitrine où l'on exhibe sa petite personne, aussi insignifiante soit-elle. Un forum est un lieu de regroupement entre personnes partageant un intérêt, motivés par une volonté de discuter sans véhémence. En tout cas, ce n'est pas le principe. Sur SensCritique, on se donne une importance injustifiée, en jetant à la face du visiteur ses petites références égoïstes, auxquels on s'attache comme on s'accroche à une corniche suspendue au-dessus d'un précipice.

Le pire est que l'on ne s'en rend même pas compte. On se prend au jeu sans s'en rendre compte, motivé inconsciemment par une pulsion de montrer à la face du monde sa supériorité intellectuelle. De toute façon, il n'y aura pas de conséquences dans le monde réel... à moins que.

C'est de cette façon que je me suis rendu compte que je ne suis pas supérieur aux autres. Après avoir écrit une critique très sévère envers La Traversée, déçu par les attentes que j'y avais mises, j'en ai discuté avec la personne qui m'a introduit le film comme une merveille sur tous les plans. En me dévoilant plusieurs points que je n'avais pas noté, par méconnaissance du contexte de création du film ou par biais cognitif, j'ai alors compris que je m'étais pris aussi au jeu de la pensée immédiate. On regarde un film, on le critique en une petite heure, puis on passe au suivant. Ce qui ne veut pas dire qu'on a regardé le film passivement, comme on mange un McDo. Mais au fil des posts, on se construit une culture monolithique, et s'installe alors une routine d'analyse, toujours sur les mêmes points, et le regard de technicien amateur l'emporte sur la réflexion que le film est censé enclencher chez le spectateur. Cocher les bons points n'est qu'un début.

La critique SensCritique est l'équivalent d'un Tweet: on s'assied sur le trône, on se soulage, on rabaisse la lunette et on tire la chasse. Ca soulage. Sauf que la pensée-wc, impulsive, n'est jamais une bonne chose. Ce n'est pas pour rien que Twitter est surnommé la "poubelle d'internet". Mais, comme la publicité, on a beau connaître la mécanique, elle est tellement perverse qu'on se fait quand même avoir. Il existe une solution très simple: quand on a envie de poster quelque chose de négatif, y réfléchir à deux. C'est bateau, c'est moralisateur, mais si tout le monde le faisait, les réseaux sociaux seraient utilisables (et je m'inclus dans le lot).

Quant à l'excuse de la découverte de nouvelles oeuvres grâce aux listes de la moyenne des utilisateurs, elle est aussi valable que celle de l'algorithme Spotify faisant "découvrir" des artistes méconnus. Si on s'intéresse à un artiste, un mouvement artistique, on lit des livres sur le sujet, des articles rédigés par des connaisseurs, on va voir des expositions. Se confier à un algorithme pour définir ses centres d'intérêt, c'est un pas dans la tombe.