Ils sont jeunes (entre 20 et 30 ans), diplômés, ils habitent à Beijing (Pékin) ou dans la proche banlieue et vivent dans des conditions précaires. Il faut voir comment une augmentation de loyer leur est annoncée ou bien comment certains subissent une véritable intimidation physique quand il est question du payement des charges pour un mois d’eau potable.


Si à première vue on peut les considérer comme une colonie de fourmis industrieuses, on réalise rapidement que ce sont des hommes et des femmes qui s’adaptent à leur environnement. Comme un personnage le dit dans le film, de nombreuses personnes arrivent régulièrement à la ville, attirées par l’activité qui y règne. Malheureusement, ils tombent dans une sorte de piège (ici comme ailleurs), où la confrontation avec la réalité du terrain est très dure. Ils tiennent parce qu’ils ont un rêve. Dans cette Chine devenue très matérialiste, la plupart ne pensent qu’à gagner un maximum d’argent pour obtenir le droit d’occuper un logement décent (là où ils sont, l’isolation phonique est réduite à sa plus simple expression, alors que le besoin d’intimité existe évidemment), trouver une femme et avoir des enfants. Les besoins matériels en découleront. Pour gagner un maximum d’argent, tout est bon. Cela va de l’emploi dans une usine qui fabrique des bouteilles à la chaine à la conception de vêtements à la mode en passant par l’intégration à une équipe de marketing où le manager affiche la couleur : vous allez en baver.


Cette génération d’hommes et de femmes représentait environ 1 million de personnes en 2009, époque où le film se situe, dans la banlieue nord-ouest de Beijing, à un endroit nommé Tang Jia Ling (tournage dans un autre quartier, similaire), qui finira démoli une année plus tard conformément à un plan annoncé par haut-parleur. L’ambiance générale rappelle donc que si la Chine est entrée dans l’ère du capitalisme sauvage, les réflexes de la période communiste ne sont pas oubliés. Relativisons néanmoins, le spectateur européen fait probablement davantage attention à ces messages diffusés dans la ville par haut-parleur que les Chinois habitué à cette sorte de bruit de fond.


Les personnages montrés dans ce film qui ressemble beaucoup à un documentaire (alors qu’il s’agit bien d’une fiction) appartiennent à la génération des habitués d’Internet. On imagine bien que beaucoup d’entre eux ne possèdent aucun matériel informatique, ce qui ne les empêche pas d’exercer leur présence sur le web (pendant les heures de travail ?) Le film précise que leur nombre (à comparer avec les 17 millions d’habitants de Beijing), leur donne un poids, une conscience qu’on ne peut plus ignorer. Un message qui sous-entend que le réalisateur, Yang Huilong, a lui-même fait partie de cette Tribu des fourmis une expression qui en dit long, les fourmis renvoyant à l’anonymat alors que la tribu est un vocable si caractéristique de cette génération qu’il est utilisé par les publicitaires. Aussi surprenant que ce soit, l’irruption de l’univers de la mode dans le film montre que les uns et les autres cherchent néanmoins à se faire remarquer, le sujet allant jusqu’à se prêter à la provocation sur un ton humoristique grinçant. Interprétation : les Chinois n’affichent plus aucun complexe et ils peuvent investir tous les domaines, leur audace balayant tous les préjugés.


Yang Huilong a travaillé plusieurs années sur le projet de ce film et il a fait un très gros effort financier après avoir appris son métier de cinéaste. Dans ce premier long métrage, le réalisateur montre un beau savoir-faire et un véritable tempérament d’artiste. En 1h30, il réussit à faire sentir l’ambiance de ces quartiers industrieux de Beijing et environs, avec la précarité subie par beaucoup. L’aspect documentaire du film tient au fait qu’il n’explore pas trop les personnalités des différents protagonistes. Yang Huilong fait plutôt œuvre de pointilliste en présentant des situations représentatives. Son talent éclate dans certaines scènes où la vie apparaît comme volée par la caméra. Des scènes souvent anodines au premier abord (la beuverie à trois, un soir), mais qui donnent dans l’esthétisme inattendu (dans la verrerie ou bien une scène chorégraphiée où la musique émerge sans crier gare), voire apportent un humour inattendu quand le couturier finit par se faire ridiculiser par ceux qui ont osé se présenter devant lui.


Ce qui peut choquer dans ce film, c’est la quasi absence d’état d’âme des protagonistes. On peut également regretter que ces protagonistes soient traités de façon quasi anonyme, mais c’est évidemment un choix du réalisateur qui montre le comportement des hommes et des femmes placés dans des conditions où leur survie compte avant tout.


Quoi qu’il en soit, un film injustement boudé à sa sortie en salles. J’ai eu la chance de le voir au 23ème FICA (Festival International des Cinémas d’Asie) de Vesoul, le 14 février 2017 où j’étais invité sur proposition de SensCritique que je remercie. Merci également à toute l’équipe du FICA !

Electron
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le 1 mars 2017

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