Quel agréable film pour entamer la filmographie de Polanski (jusqu'alors très floue pour moi). Et par agréable film j'entends bien sûr sublime film à l'élégance et à l'efficacité rares qui vous envoûte dès lors que le premier plan vous saute aux yeux, comme Vanda envoûte à petit feu Thomas.
La simple entrée en "scène" de Vanda (Emmanuelle Seigner) sonne comme un orage et suffit à vous donner les frissons, vous faire inexplicablement palpiter les artères. Son jeu peut faire grincer des dents les plus tatillons mais sert magnifiquement ce personnage "ambivalent" - non, ambigu! - à la sensualité érotique flirtant avec une certaine vulgarité dominatrice. Ô Aphrodite! s'exclame Thomas (Mathieu Amalric) désireux de cette femme dont la puissance érotique s'affirme lentement au grès des répliques, restant comme voilée et dont ont apercevrait des bouts de corps dépassant par-ci par-là de cette pseudo-fourrure.
Tout est une affaire de flou. On ne saurait poser des limites entre l'attirance des personnages de la pièce et celle qui unit Thomas et Vanda, entre réalité et fiction, entre Thomas et son personnage, entre Vanda et Vanda. Les esprits se plaisent, les corps se rapprochent et les rôles s'échangent. La femme devient psychanalyste et prend des allures de diseuse de bonne aventure au savoir étrangement étendu et l'homme devient la femme qu'il rejette, cloué aux pieds d'un cactus explicitement phallique. Le couteau agit également comme élément troublant cette définition de ce qui est réel et de ce qui ne l'est pas, les spectateur se demandant "est-ce un vrai couteau?" ou encore "Thomas joue-t-il bien la peur à ce point?". La confirmation ne vient pas à tarder, le couteau venant se planter sur le parquet de la scène. Seule "La chevauchée des Valkyries" de Wagner vient interrompre à quelques reprises ces personnages perdus entre présentation et représentation, en rappelant à l'ordre ce Thomas vagabondant aux pieds de La Vénus à la fourrure, à propos de son mariage d'une banalité presque comique (Il y a pas du gigot qui reste d'hier?). L'une des actions superbes et explicitant à merveille les enjeux du film réside dans la scène où Vanda gifle, embrasse, puis caresse pour de faux le visage de Thomas. Comme une distance insuffisante aux gestes pour réussir leurs effets, comme une distance entre réel et fiction indéfinie. Les gestes de Vanda n'ont certes pas d'effets corporels, mais psychologiquement c'est une autre affaire.
Sous ses faux semblants de théâtre filmé, le film recèle bien plus que la sobriété (efficace) de la mise en scène peut laisser paraître. Les mouvements de caméra sont comme des caresses érotiques et le scénario en dentelle maîtrise parfaitement l'art du crescendo. Merveilleusement bien construite, la narration est efficace et fait mouche!
Le fantastique comme ligne de conduite, le film valse tout du long avec le réel, en mystifiant cette sulfureuse Vanda, qui apparaît et disparaît sans trop de cohérence, parfois quitte à dérouter gentiment le spectateur jusqu'à s'enfoncer finalement dans les ténèbres de la salle de spectacle, comme un dernier souffle sensuel laissant Thomas toujours lié, en tête à tête avec ses démons, dans cette cage aux désirs qu'est devenu ce théâtre. Puis que dire de cette danse, où Vanda se dévoile intégralement sous sa véritable fourrure. Aux accents animaux, ses mouvements fendent l'air comme des couteaux, des pointes au coeur de l'homme qui la désire.
En bref, un ravissement intelligent pour la rétine, une valse érotique à huis clos, du sado-maso sentimental intense et brillant.