Je suis femme
Premièrement, le film est inspiré d’une affaire retentissante des années 1950 : celle de Pauline Dubuisson. Mais cette fois ci, Pauline est remplacée par un personnage fictif : celui de Dominique,...
Par
le 20 oct. 2017
52 j'aime
5
La vérité est en paradoxe avec le sujet qui l’anime : alors qu’il y est question d’acte manqué, d’un timing qui n’est jamais le bon, le film de Clouzot est un modèle de précision, à la mécanique soigneusement huilée, dont toutes les composantes sont parfaitement assises. Direction d’acteurs chirurgicale qui permet à Brigitte Bardot de crever l’écran, à Paul Meurisse de rappeler son charisme naturel, mise en scène rigoureuse sans éclat ni faiblesse, photographie subtile et narration fluide, tout s’y rencontre pour composer ce qui est certainement l’un des plus beaux films français de procès, mais pas seulement : La vérité c’est bien plus que cela, c’est une émouvante tragédie amoureuse, une dissection de l’âme humaine dans ses moindres parcelles.
Un crime passionnel. Quel contexte est en effet plus approprié pour sonder l’humain, mais également le plus propice à la dérive manichéenne ? L’intelligence de Clouzot est qu’il s’évite tout parti pris quant à l’affaire qui motive son propos. Alors qu’il aurait pu se laisser charmer par l’un ou l’autre des camps en présence, il prend soin de laisser les gestes, les dialogues, l’alternance des points de vue s’exprimer tour à tour, sans traitement de faveur. Chacun peut alors se faire porteur d’une vérité volatile, jusqu’à un dernier tour de piste radical qui parvient à ôter aux différents orateurs les mots qu’ils alignaient sans s’essouffler pour défendre leur position respective. Réussir à rendre si palpable le malaise généré par le soudain sentiment de culpabilité qui assaille les porteurs de la bonne morale est un réel tour de force.
Une intention de cinéaste sans faille qui, associée à un savoir-faire saisissant, remue les cœurs. Gérant parfaitement le rythme de son histoire, y distillant ses cartouches avec nonchalance, Clouzot construit petit à petit son argumentaire : il n’y a pas de vérité, seulement des hommes, des femmes, et les interactions qui les font vivre. Pour autant, n’allons pas sous-entendre qu’il se contente d’exposer, sans proposer sa réflexion. Cette dernière y est palpable tant il remet en question les mentalités qui construisent l’opinion publique : cet esprit de groupe qui veut que les marginaux sont forcément jugés coupables par leur pairs alors même qu’ils se contentent de vivre : « Vous êtes là, déguisés, ridicules, vous voulez juger mais vous n’avez jamais vécu ; jamais aimé. C’est pour ça que vous me détestez, parce que vous êtes tous morts ». La sentence est glaciale, implacable, fait froid dans le dos autant qu’elle émeut : Brigitte Bardot, investie sans retenue, n’est plus Brigitte Bardot; elle est Dominique Marceau dans sa seule vérité, celle de n’avoir jamais réussi à respirer à la bonne heure. C’est dans ces moments là, alors que tout esprit analytique s’est envolé, que l’outil cinématographique quand il est totalement maîtrisé exprime tout son potentiel.
Et comme pour asseoir cette impression, pour définitivement prouver qu’il est seul maître à bord, Clouzot achève les cœurs au moyen d’une seule et dernière ligne de dialogue. Un instant furtif qui remet tout en question, jusqu’à la passion dont il a été question. Quand les deux avocats se réconfortent mutuellement, alors qu’ils étaient prêts à s’étriper 10 minutes plus tôt, l’émotion prend un rude virage : les deux vies qui ont déchaîné Paris pendant 2 heures, celles qui ont malmené les âmes, invité les larmes, provoqué soupirs et incompréhensions, n’ont finalement été qu’un succès éphémère pour l’un, un échec amer pour l’autre, un aléa du métier en somme. Un dénouement si noir qu’il serre les tripes : rares sont les films qui vous habitent autant alors que leur générique final a disparu de l’écran depuis bien longtemps.
+++++++++++++++
Pour les images, c'est par ici >
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Un cacheton en N&B pour les intégristes de la couleur et L'ours, Homo Video, en 2016
Créée
le 10 déc. 2016
Critique lue 628 fois
16 j'aime
15 commentaires
D'autres avis sur La Vérité
Premièrement, le film est inspiré d’une affaire retentissante des années 1950 : celle de Pauline Dubuisson. Mais cette fois ci, Pauline est remplacée par un personnage fictif : celui de Dominique,...
Par
le 20 oct. 2017
52 j'aime
5
Alors voilà, passons sur les détails de l'histoire, c'est le procès de Dominique, qui a tué son amant, et le synopsis fera ça très bien ; c'est donc un film de tribunal et de flash-back, j'imagine...
Par
le 21 août 2012
37 j'aime
Brigitte Bardot, véritable sex-symbol en ce début des sixties se met au service d’un mastodonte du cinéma français, Henri-Georges Clouzot, dans le film La Vérité. Poussée à bout par un Clouzot un...
le 7 oct. 2016
34 j'aime
4
Du même critique
J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...
Par
le 26 janv. 2019
81 j'aime
4
Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...
Par
le 7 déc. 2014
74 j'aime
17
Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...
Par
le 14 déc. 2014
58 j'aime
8