Crise de famille en terre hexagonale. Auréolé de la Palme d’Or pour Une affaire de famille, Kore-eda Hirokazu délocalise son regard et son cinéma en France avec La Vérité, son quatorzième long- métrage. Un résultat décevant pour une œuvre amorphe très en-dessous de l’œuvre globale de ce cinéaste de renom.
En août dernier, Ira Sachs se prenait les pieds dans le tapis en mettant en scène Isabelle Huppert dans Frankie, icone capricieuse et malade retrouvant ses proches à l’aube de sa mort. Il est amusant de retrouver des similitudes thématiques dans le nouveau film de Kore-eda, aussi dérangeantes soient-elles. La Vérité pose sa caméra sur une autre icône du cinéma français, en la personne de Catherine Deneuve. Il est amusant, également, de voir à quel point les deux actrices cristallisent les problèmes des deux films. De cette fascination pour ce qu’elles représentent dans l’histoire du cinéma, les deux films sont vampirisés par des actrices jouant la même partition, à peu de nuances près, depuis plus de 10 ans.


Une affaire de famille


On retrouve la cellule familiale, chère au cinéaste japonais, en proie aux déchirements, aux questionnements, où les secrets sont légion. Différents protagonistes qui se retrouvent dans la maison familiale à l’occasion de la publication des mémoires de Fabienne (Catherine Deneuve). C’est lors d’une introduction amusante que l’on prend le pouls de son personnage, en un mélange de cynisme et de mépris. Il est intéressant d’observer ici le changement de regard qu’opère le cinéaste japonais dans son étude de la famille. Dans Une affaire de famille, son précédent film, Kore-eda Hirokazu s’intéressait à la famille au sens large, en questionnant la filiation, l’amour et la solidarité, à travers un regard doux-amer et un traitement d’une grande finesse et d’une jolie douceur. Il posait alors son regard, comme souvent dans sa filmographie à la classe populaire.


À contrario, La Vérité ausculte la famille au sens strict, avec pour thématiques le temps qui passe, les secrets, les non-dits et les souffrances qu’elle peut engendrer. De cette étude ressort un sentiment d’un film qui n’est pas là pour faire plaisir. Du cinéma qui gratte, qui gêne, qui écorne. Et pourtant :



« Si un vent de fraîcheur, de gaité et de liberté souffle sur le film
alors même qu’il se déroule en grande partie en intérieur dans une
maison de famille, c’est incontestablement parce que le charme et la
bienveillance de Catherine et Juliette l’irradient de bout en bout ».



À en lire cet extrait de la note d’intention du réalisateur, il est difficile d’extraire de la légèreté lorsque les personnages principaux restent très centrés sur leur petit monde, où les egos d’artistes prennent le pas sur le reste. Et ce n’est pas la seule séquence musicale du film – un peu forcée – qui insufflera cette gaieté ambiante.


L’impasse du voyage


Malheureusement, ce voyage cinématographique en France est une impasse, une fausse bonne idée. La faute à un scénario bancal et foutraque, multipliant les pistes sans jamais les explorer réellement. Le cinéma de Kore-eda se dévitalise complètement : de toute poésie, de toute sensibilité. Ceci au profit d’une étude sur la famille bourgeoise qui devient rapidement sans profondeur et finalement sans intérêt. On sent pourtant la patte d’un cinéaste étranger, la pudeur japonaise, refusant l’hystérie des disputes pour adopter la douceur de l’automne. Tout ceci, sur le papier avait de quoi être attirant avec le regard d’un tel cinéaste.


De La Vérité découle alors une impression de platitude, devenant rédhibitoire, appuyée par une direction approximative des acteurs français, Catherine Deneuve en tête. Ethan Hawke, caution américaine peine à s’imposer. Rien ou peu ne semble se dégager de ce qu’on peut considérer comme un accident pour le brillant metteur en scène qu’est Kore-eda Hirokazu. Sans rancune.

JoRod
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le 25 déc. 2019

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