"La vérité" ou le "Rashomon" à la française

On dit souvent qu'on reconnaît les grands réalisateurs à ce qu'il parviennent à tirer de leurs comédiens. Eh bien, Henri-Georges est de ceux-là.


J'en veux pour preuve l'interprétation magistrale de Bardot dans cette somptueuse "vérité". Certes, on la retrouve une fois encore dans ce registre de la blonde sulfureuse et dépourvue de passion qui a jalonné sa filmographie. Seulement, cette fois-ci, son personnage sert parfaitement le propos du film.


Celui-ci raconte le procès de Dominique (Bardot), jugée pour crime passionnel commis envers Gilbert Tellier (Sami Frey), chef d'orchestre brillant, mais sinistre.


Chacun de ces deux protagonistes caractérise les antagonismes qui ont clivé la société française du début des années 60.
Lui incarne ses côtés traditionnels : le travail, la rigueur, au service d'une vie bien rangée, tandis qu'elle, entourée d'une bande d'artistes parisiens en marge du modèle "métro, boulot dodo", se laisse uniquement griser par la frivolité de l'instant. Bien entendu, leur relation donne lieu à une passion pleine de fougue, de violence et de drame.


Ce qui est saisissant dans ce film, c'est la façon dont Henri-Georges montre l'étroitesse d'esprit et la mesquinerie de la société, considérablement orientée dans ce sens par l'avocat de la mère de Gilbert, Paul Meurisse.


Evidemment, dans les faits, Dominique n'est pas si noire et Gilbert pas si blanc. Mais personne ne veut rien entendre.


Comme le rappelle son avocat (Charles Vanel), la pauvre Dominique se fait vilipender du simple fait d'exister : elle a tué, oui, mais poussée à bout par un amant manipulateur. De plus, on la jalouse car elle véhicule l'image d'une jeune femme belle, insouciante, en marge des traditions, qui porte dans son ADN un message écrit en corps 220 : "je vous emmerde tous, bande cadavres, moi je suis vivante".


Une fois encore Henri-Georges dresse un portrait de société au vitriol, comme dans "l'assassin habite au 21", "les diaboliques" et "le Corbeau", avec en toile de fond une question philosophique omniprésente : qu'est-ce que la vérité chez les êtres humains, existe-elle seulement, noyée parmi les passions et la subjectivité ?


Un film brillant, qui, par les questions qu'il soulève, n'est pas sans rappeler "Rashomon" de Kurosawa.

Zardu
9
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le 17 avr. 2015

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Fitch zardû

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