Mine de rien, de film en film, Wes Anderson est en train de se bricoler un univers, un style, qui peu à peu le le distingue de la masse de ses confrères bêlants, qu'ils soient indépendants autoproclamés ou totalement asservis par Hollywood, et dont le style anonyme et passe partout ne laisse déjà plus aucune trace. Ceux qui n'aimaient pas l'ambiance décalée des films du cinéaste, volontairement décousus, ces accumulations de saynètes à l'humour non-sensique procédant par petites touches discrètes, en seront une fois encore pour leurs frais : La Vie Aquatique est un film de Wes Anderson, avec ses personnages souvent moroses, figés dans leurs contradictions, ses alternances entre comédie légère, drame naïf et slapstick pur, ses variations de rythme, montage indolent puis saccadé, allégorie des différents parcours des personnages.

Comme beaucoup d'oeuvres d'autres cinéastes à personnalités, de Claude Sautet à John Cassavetes en passant par Paul Thomas Anderson, les longs-métrages de Wes (un homonyme, probablement) sont avant tout des films de groupe, d'ensemble cast comme on dit in english, chacun ayant un rôle plus ou moins important à jouer dans la mécanique générale, mais tout le monde étant absolument indispensable à l'équilibre du film. Comme Royal Tenenbaums,La Vie Aquatique est un défilé d'acteurs de second plan, de stars déchues, ou de vedettes en quête de respectabilité dans un cinéma qui n'a de vraiment indépendant que le nom - on est tout de même dans une production Touchstone. D'où un certain aspect "branché" et distancié qui pourra agacer certains, et paraître foutrement artificiel à d'autres. Du soundtrack impeccable avec les reprises très à propos du Hunky Dory de Bowie par Seu Jorge, en passant par un certain degré de cynisme auto-dérisoire,La Vie Aquatique a tout de l'objet immédiatement culte, facilement cataloguable, et étiqueté "réalisateur fantasque". Ma bonne dame, c'est pas votre film lambda avec Bruce Willis, ça, et ça va plaire au cinéphile un peu exigeant que vous êtes.

On serait même séduit d'avance, tant Hollywood ne nous donne à consommer que du pré-mâché et du sur mesure, si Anderson n'avait une vraie patte d'auteur et ne parvenait finalement, malgré ses délires ponctuels et cette apparente absence de vraie ligne condutrice, à raconter une histoire. Quelque chose d'aussi simple que beau, clair comme les eaux souriantes de Port-au-Patois. Et puis, de Bill Murray, génial de non-jeu en Commandant Cousteau has been et narcissique à l'impériale Angelica Huston, en passant par la sémillante Cate Blanchett, le très germanique Willem Daofe, ou le compère de toujours Owen Wilson (co-scénariste et acteurs des deux premiers films d'Anderson), la troupe du Belafonte, le navire-jouet de la Team Zissou, est décidément une sacrée bande de loufiats aussi loufoque qu'attachante. Il faut les voir prendre d'assaut une île de pirates sur la musique de l'ex-Devo Mark Mothersbaugh, comme dans un film d'action décalé où les gamelles et le ridicule seraient plus importants que le bruit des pétards. Il faut voir Bill Murray en speedo et robe de chambre jouer les Dirty Harry dans un festival de riffs stoogiens, ou Cate Blanchett refuser les avances du captain Zissou sur sa mongolfière allume cigare... Un peu de poésie burlesque dans un monde d'exploits techniques, un peu d'humour, même s'il reste toujours en demi-teinte - excepté LA scène à se tordre de rire avec Seu Jorge en vigile distraite - et beaucoup d'émotion dans cette vie aquatique qui jamais ne prend l'eau. Moins définitif que son excellent Rushmore, même si Cate Blanchett fait une superbe Olivia Williams, mais aussi moins bancal que son Tenenbaums, La Vie Aquatique est une plongée, l'image est facile, dans un univers fantasque où les crabes-berlingots dansent sur les plages, où des requins-jaguar - si tant est qu'ils existent - brillent de milles feux sur du Sigur Ros, et où l'Italie des studios de Cinecitta donne à ce drôle de film des allures de rêverie baignée de soleil, et pleine de chimères fantastiques.
Prodigy
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le 17 avr. 2010

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Prodigy

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