Dans lequel Bunuel se prend pour Hitchcock, pour finalement parler du Mexique et des rêves.

Le film est un flashback dans lequel Archibald de la Cruz, un riche oisif mexicain, raconte à un commissaire comment il est obsédé par des pulsions de meurtre depuis un épisode de son enfance : sa gouvernante lui racontait l'histoire d'une boîte à musique qui pouvait tuer, et meurt d'une balle perdue pendant les révolutions mexicaines. L'enfant en conçoit une fascination morbide, fixant les jambes abandonnées du cadavre de son ex- préceptrice.


Suivent plusieurs tentatives d'Archibald pour assouvir son fantasme. Il se fait accompagner par Patricia, une cocotte qui veut rendre son mari jaloux, mais le mari rentre au moment où il veut la tuer au rasoir, et le lendemain il apprend que Patricia s'est suicidée. Il rencontre ensuite Lavinia, une guide pour touristes américains, belle et vivante, qui songe à épouser un vieux barbon. Mais le soir où il l'invite, ayant congédié ses domestiques (il s'est même procuré un mannequin à son effigie), elle invite ses touristes à visiter l'atelier de poterie d'Archibald. Enfin, la jeune femme qu'il idéalise, Carlotta, pieuse, s'avère avoir une amourette avec un homme marié en instance de divorce. Elle accepte d'épouser Archibald, qui projète de l'assassiner la nuit des noces, mais le jour du mariage, l'amant jaloux la tue d'un coup de révolver.


Retour au commissariat : le commissaire libère Archibald en lui disant qu'il n'a commis aucun délit : on ne peut enfermer quelqu'un pour ses pensées. Traversant un parc, abattu, le héros retrouve Lavinia, qui a quitté son barbon. Tous deux vont vers l'horizon en se tenant la main.


Ce qui me frappe, au niveau formel, c'est à quel point ce film répond servilement aux standards de mise en scène d'Hollywood. On reconnaît la patte de Bunuel dans les thématiques, mais sinon les mouvements de caméra sont très académiques.


C'est un film beaucoup moins onirique que par exemple L'ange exterminateur. Il commence un peu comme un film d'épouvante. Dès le premier plan, on se trouve dans ces films étranges des années 1950-1960 avec un orgue wurlitzer qui déraille (Bonjour Carnival of Souls).


Il y a quelques images-choc qui émergent :


les cuisses et le porte-jarretelles de l'institutrice morte. Le sourire béat et trouble de l'enfant ; La bonne soeur qui tombe en tournoyant dans la cage de l'ascenseur : grotesque. Le visage du mannequin qui fond. Le doigt légérement coupé au rasoir, chassé par du sang qui dégouline sur l'écran et fait place à l'image traumatique originelle : les jambes de la gouvernante dégouttant de sang.


Au niveau du rythme, on ne peut s'empêcher de se dire qu'un maître du suspense comme Hitchcock aurait fait mieux. La scène chez Patricia, par exemple, traîne un peu et n'installe pas de vrai suspense. Elle est sauvée par la vision de Patricia apportant le lait. Toute cette séquence fait beaucoup penser à Dial M for Murder, qui date de l'année précédente.


Au fond, ce film prend à rebrousse-poil les attentes du spectateur, sans doute car Bunuel est plus attaché à dépeindre la société mexicaine de son temps, ses travers (l'armée, l'Eglise, l'hypocrisie, les mariages arrangés...) que de bâtir un thriller haletant. Les pistes qui sont donc amorcées (épouvante, thriller) se perdent en route, et l'on se retrouve finalement avec un enfant caché dans un corps d'adulte qui rêve de faire des vilaines choses, mais ne parvient jamais à ses fins. Le happy ending a quelque chose de délibérément artificiel, il passe même à côté de l'ironie macabre à laquelle on pourrait s'attendre ("j'épouse un tueur en série").


C'est plutôt l'analyse psychologique et l'atmosphère qui sauvent ce film. Mais on peut regretter que Bunuel n'aille pas plus loin dans l'audace des visions, des perversions. L'ange exterminateur était tellement gonflé.



  • A revoir aujourd'hui, c'est amusant de voir comme Ernesto Alonso, l'acteur principal, a par moments un faux air de Robert Downey Jr.


La vie criminelle d'Archibald de la Cruz, après avoir semé les fausses pistes, s'avère être un film psychologique sur les fantasmes et les rêves. Sa trame déceptive me fait un peu penser à Dragonwyck. C'est un film intéressant, mais pas un chef-d'oeuvre.

zardoz6704
7
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le 17 déc. 2016

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zardoz6704

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