La vie d’Adèle, quelque soit son avis sur ce film, est un film qui ne laisse pas indifférent. Tout d’abord, je ne m’attellerai pas à débattre sur tout ce qu’a pu être dit hors film, je pense à la dispute par médias interposés entre Kechiche et Sédoux. Kechiche est peut être un tortionnaire, Sédoux est peut être un peu casse-couille sur les bords, qui sait, en tout cas seul le résultat compte. C’est la critique d’un film et non pas une critique mondaine.

Tout d’abord, rappelons que le film est une adaptation de la bande dessinée « Le bleu est une couleur chaude » de Julie Maroh. Dès cette étape, Kechiche prend d’ores et déjà des libertés avec la version originale. Ne lui en tenons pas rigueur, comme Julie Maroh (l’auteur de la bd) d’ailleurs, il s’agit d’une adaptation, pas d’une vulgaire copie version film. Nous parlerons donc du film exclusivement (sauf quelques comparaisons avec la bande dessinée, mais elles seront plus à titre informatif)

Tout d’abord, la forme. Kechiche est clairement un peintre du quotidien, un naturaliste du cinéma. Un souffle de réalisme est conservé tout au long du métrage. Malgré tout, on pourrait noter quelques scènes un peu en deçà par rapport à l’ensemble. Par exemple la scène, de la classe n’est pas le moins du monde crédible et filmée comme une vulgaire série télévisée. Pour sa défense, je n’ai jamais vu un réalisateur passer avec grand brio ce problème de filmer une salle de classe, exception faite aux réalisateurs japonais. Exercice d’apparence banal mais qui se révèle complexe.
Un autre problème qui influence la forme du film est que Kechiche est probablement tombé amoureux d’Adèle. Il en fait le centre de son histoire, et pour ce qui est de centrer, il centre. Les gros plans d’Adèle en train de manger des pâtes, d’Adèle en train de manger un kébab, d’Adèle qui se fait chier, fatiguent, étouffent, oppressent. A trop vouloir filmer les détails de son visage, il en oublierait presque l’environnement qui l’entoure, et qui, justement, influence les émotions de son visage. On se retrouve avec beaucoup de hors champs non maitrisés (« Un condamné à mort s’est échappé » est le film leçon pour apprendre et comprendre le hors champ). J’avais déjà senti cette oppression due à un cadrage trop serré dans « De rouille et d’os » d’Audiard.

Dernier petit point sur la forme qui a souvent été relevé, le manque d’une transition franche entre le chapitre 1 et le chapitre 2. Je ne vais pas m’attarder, beaucoup a déjà été dit. Si la transition méritait une forme particulière, pour ne pas faire décrocher le spectateur, il reste une chose dérangeante bien plus grave. Rien dans l’attitude d’Adèle n’a changé. Notons comme différence avec le plan précédent la transition, un veston et une paire de lunette.
Ce n’est donc pas vraiment sur la forme que je critique Kechiche, mais plus particulièrement sa vision manichéenne des classes sociales, ce qui influence par la suite la psychologie de ses personnages.

Une histoire d’amour sans problème social, ce n’est pas intéressant. Shakespeare l’a lui même bien démontré dans « Roméo et Juliette », il s’agit même du thème central de la BD. Le problème réside dans le fait que Kechiche étudie la question avec de gros sabots et au passage nous prend pour des abrutis en prenant des raccourcis évidents.
La famille d’Adèle mangeant des pâtes à la sauce tomate devant question pour un champion et avec des idées arrêtées sur les relations lesbiennes ainsi que sur une famille stable socialement et financièrement -> Classe moyenne.
La famille d’Emma, famille recomposée, mangeant des fruits de mer avec un petit vin blanc, discutant d’art. Grande ouverture d’esprit sur l’amour et les relations -> Classe sociale élevée.
Kechiche est-il toujours le peintre sociale ou simplement un croqueur de portrait ?

Autre passage aberrant, la scène entre Adèle et Emma juste après le vernissage de cette dernière chez elles. Adèle revient de faire la vaisselle et Emma lit Kant (ou autre philosophe, j’avoue ne plus remettre l’auteur) dans le lit conjugal. Je résume le dialogue :
Emma : « Pourquoi tu n’as pas parlé d’art ce soir et que tu n’as fait que servir les pâtes ? »
Adèle : « Je ne sais pas, parce que j’aime bien faire ca. »
Emma, hautaine : « Tu vas quand même pas passer toute ta vie à faire ça ? T’as pas de rêve? »
Adèle, incertaine : « Je suis heureuse pour le moment et je veux une vie simple »
Il sort d’où ce mépris envers les gens qui ont des envies simples. Tu parles d’une leçon d’humilité venant justement d’artistes (acteurs, scénaristes, réalisateur…).
Au passage, je tiens à dire que dans la bande dessinée Emma a un caractère beaucoup plus tempéré et est bien moins sur d’elle. Je trouve personnellement que cela était mieux senti pour raconter une histoire d’amour, ce qu’apparemment Kechiche n’a pas voulu réellement faire.

Enfin, un dernier point, les scènes de sexe. Je trouve leurs durées bien pensées. Au début, comme pour toute relation, elles sont longues et rapprochées, puis, plus le film, et la relation, avancent, plus elles s’espacent et se raccourcissent. C’est intelligent et subtile. Par contre, niveau crédibilité de la scène, on repassera. Adèle n’a qu’une seule expérience sexuelle avec un homme. Elle en sort assez frustrée, soit. Dès sa première relation sexuelle avec une femme, elle est presque à l’initiative, les deux n’hésitant pas à se gifler le cul, se lécher le sexe comme une glace en plein été… Amour passionnel et première expérience, acceptons à la grande limite. Quid de l’amour dans ces scènes de sexe ? Cela ressemble plus à « baiser » qu’à « faire l’amour ». A force de concession pour filmer la réalité, on se retrouve avec un film social, froid, vulgaire sans sentiments amoureux.
S’aiment-telles ? Vous me direz que la scène de la grosse dispute peut en attester, ou même la scène du bar à la fin (où le viol d’Adèle sur Emma tombe dans l’indifférence totale. On est au cinéma, on peut se permettre). Scènes ultra émotives à tendance lacrymale, elles sont là encore une caricature de ce que peut être la passion. Je reproche aussi à Kechiche sa scène de dispute dans laquelle il adopte une mise en scène et un montage platonique pour quelque chose de chaud et dynamique, chose qu’il fait pourtant très bien dans le bar. Voilà encore, à mon goût, un manque de cohérence.

Je dirais que ce film essaye tant bien que mal à rapprocher deux mondes, l’amour et la critique sociale. Malheureusement ces deux mondes sont restés hermétiques, l’un surpassant l’autre selon les plans, sans jamais fusionner.
Rumol
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le 17 mars 2014

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