La vie d’Adèle est une grande histoire d’amour et une nouvelle représentation grandiose et bouleversante de l’amour fou. J’ai toujours tendance à invoquer Borzage quand on parle d’amour fou, car selon moi c’est le cinéaste qui a su traiter ce sujet de la plus belle des façons, en l’abordant sous sa forme la plus pure, la plus lumineuse, et la plus extrême. Soit l’amour plus fort que tout et capable d’évincer tout ce qui tourne autour (société, contexte historique, humain, culturel,…).
Ce n’est pas cette expression de l’amour fou que décline Kechiche dans son film.
Ce grand amour qui éclot à l’adolescence et qui se poursuit plusieurs années après.
Ce grand amour qui nait au coin d’une rue, lors d’un échange de regard capté par un mouvement vertigineux et saisissant qui rappelle le grand travelling circulaire de Fassbinder dans Martha.
Ce grand amour là est totalement ancré dans une réalité, face à laquelle il est confronté, sans cesse remis en question ou mis à mal. Les amoureux borzagiens se créent une bulle pour vivre leur amour à l’écart du monde, ici les amoureuses veulent vivre et crier leur amour au grand air.
La confrontation au monde, aux amis, aux familles, aux autres, est permanente et voulue, en tout cas lorsque cet amour est pleinement assumé par celles qui le consomment.
Kechiche poursuit son travail de naturaliste, quelque part entre Pialat et Cassavetes, mais ici dans une forme beaucoup plus structurée et classique que ses précédents films. Il filme au plus près des acteurs, fait durer les scènes, afin de saisir des instants, des moments de vie, des jeux de regards, des sourires, des émotions, des gestes, que peu de cinéastes savent capter et qui rend son travail si précieux et beau.
Ici il filme avant tout une fille, Adèle (merveilleuse Adèle Exarchopoulos), qu’il intercepte alors qu’elle est au lycée, en classe de première, et qu’il va suivre jusqu’à ces premières années comme institutrice.
Le film est structuré en deux chapitres, jamais indiqués comme tels dans le film, mais qui pourraient représenter d’une part l’adolescence et la naissance d’un amour, d’autre part les premiers pas dans l’âge adulte et la perte de cet amour.
Dans la première partie Kechiche filme le trouble identitaire d’Adèle, elle ne sait pas encore où se situer sexuellement, et si elle le sait au fond d’elle, elle n’est pas prête à se l’avouer ni à assumer ses désirs et sa personnalité.
Sa rencontre avec Emma (merveilleuse Léa Seydoux) n’est pas non plus le catalyseur qui va transformer son corps de femme ni fixer sa sexualité. Kechiche ne filme pas cette relation comme la concrétisation d’une homosexualité, ce n’est en aucun cas ce qui l’intéresse. Il filme simplement la naissance d’un grand amour. D’un coup de foudre qui va se transformer en amour fou, en passion charnelle dévorante. Une grande histoire d’amour, romanesque, sensuelle et intellectuelle, que Kechiche filme dans sa sensualité, dans sa trivialité, dans tous ses excès, ses débordements, de chair, de larmes, de joies, mais sans jamais se mettre ou nous mettre dans une position de voyeur.
C’est un très grand film, d’une ampleur émotionnelle rare, et d’une justesse saisissante lorsqu’il s’agit de filmer des corps, ce qui les habitent, et de retranscrire comme rarement le sentiment amoureux.
Teklow13
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le 29 mai 2013

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