La Vie d'Adèle dresse un portrait fascinant sur une adolescente qui se cherche, se perd et se trouve

"La Vie d'Adèle" dresse un portrait fascinant sur une adolescente qui se cherche, se perd puis se trouve. Kechiche s'évertue à filmer des visages en gros plans. Car les gros plans nous montrent la vérité. Et quel merveille que de découvrir une histoire d'amour passionnelle entre deux femmes qui, à nos yeux, paraisse vraie ! Sensualité, désir, sexe, joie, tristesse... "La Vie d'Adèle" est à la fois un récit réaliste et magique, qui nous captive émotionnellement.

Ce film d'Abdellatif Kechiche, Palme d'Or à Cannes, est frappant tant il repose sur une histoire simple avec un personnage simple, de la vie de tous les jours. "La Vie d'Adèle" retrace une longue histoire d'amour vécue par Adèle, une adolescente à qui il manque quelque chose dans la vie. Le récit de cette jeune femme qui se cherche, se perd puis se trouve est à la fois magique et troublant. Dès le début, le spectateur se familiarise aisément avec Adèle. Kechiche nous dresse un portrait habile et complet de la protagoniste à travers toute une série de gros plans qui dureront tout le long du film. Nous positionnant toujours face au visage d'Adèle et des personnes à qui elle parle, et ne s'en éloignant que rarement, le réalisateur parvient à susciter d'emblée l'empathie du spectateur pour ce personnage. Nous la voyons tour-à-tour remonter son pantalon comme nombre de filles d'aujourd'hui, courir pour attraper son bus, afficher un regard inexpressif dans son quotidien au lycée, attacher ses cheveux désordonnés... Aux repas, Kechiche ne nous épargne pas les gros plans de sa bouche avalant des spaghettis à pleines dents. La bouche entrouverte, les yeux enivrants et les cheveux décoiffés d'Adèle deviennent ses traits les plus marquants, que Kechiche et son chef opérateur prennent un plaisir fou à filmer en gros plans, apportant à ces traits physiques une dimension clairement sensuelle. Qu'Adèle paraisse tantôt laide tantôt belle à l'écran fait également partie du jeu auquel se livre le cinéaste désireux de nous dire absolument tout sur son personnage, sans omettre les détails.

Si Adèle prend encore plaisir au lit avec son compagnon du début, un jeune homme plutôt sympathique, elle se rend pourtant bien compte que ce n'est pas là ce qu'elle désire. On sent dès le commencement qu'elle est prédestinée à autre chose, quelque chose de différent. Kechiche nous en donne déjà des indices à travers une lecture sur le coup de foudre en classe, quelques touches de bleu dans les images et un premier regard dans la rue entre Adèle et celle qui, bientôt, viendra changer les choses. Même si le film est très réaliste, de par ses personnages du quotidien, ses sons crus et sans musiques ou encore ses dialogues réalistes, on ne peut s'empêcher de percevoir un côté magique dans les événements qui apparaissent à Adèle. Sa première rencontre dans un bar lesbien avec Emma, jeune homosexuelle assumée aux cheveux bleus et étudiante en Beaux-Arts, ne fait que confirmer cet état de fascination. Un dialogue très naturel, voire passionnant, s'installe entre les deux jeunes femmes dans cette ambiance agréable aux lumières chaudes, de même que pour les scènes suivantes du film, qui prennent une dimension sensuelle. Kechiche parvient à saisir le côté sentimental de ces scènes et à en faire quelque chose de beau.

Mais à peine la tendre et quelque peu timide Adèle a franchit le pas en déposant un premier baiser sur la bouche d'Emma qu'aussitôt tout s'emballe pour elle. Une nouvelle atmosphère vient s'installer alors que toutes deux, dans une longue séquence d'au moins cinq minutes, se livrent nues à un corps à corps qui n'a plus de sensuel que leurs respirations accentuées. Pour les scènes de sexe, Kechiche ne nous épargne rien, que ce soit à l'image (plans larges), dans le son (les bouches, les corps, les mains) ou dans le temps (peu d'ellipses), et frise dangereusement avec l'univers de la pornographie. Pourtant, il n'en est rien car ces scènes crues, purement charnelles et d'une certaine bestialité s'affichent indéniablement dans la logique du cinéaste, qui ne fait que dresser le portrait de son personnage principal, au même titre par exemple que les scènes où Adèle avalait sans retenue ses spaghettis.

Pourtant, même si les scènes de sexe nous montrent un côté moins magique de l'histoire et s'avèrent tantôt agréables, tantôt dérangeantes, la rage amoureuse qui se dégage de ces moments charnels, bien différente de celle qu'auraient eu deux hommes au lit, conserve un côté sensuel. Plus tard dans le récit, un personnage nous parle de ses expériences et explique que l'orgasme féminin a quelque chose d' 'aérien', comme si les femmes regardaient vers un 'ailleurs' à ces moments là. Et c'est particulièrement ce côté 'aérien', bien plus que des sentiments ou des notions assez abstraites d'amour et de sensualité, que Kechiche s'émerveille à dépeindre à travers son portrait d'Adèle. La couleur bleue, surtout présente dans les cheveux d'Emma, est la meilleure représentation visuelle de ce côté 'aérien', de cet 'ailleurs' auquel Adèle aspire. Le bleu devient alors un symbole de passion, de désir et aussi de liberté, car Emma est une femme libre, d'après ce que l'on peut tirer de son discours sur Sartre. Le monde artistique dans lequel elle vit est par ailleurs la solution la plus évidente pour représenter cette 'liberté', tant d'expression que d'agissement. Du coup, Emma incarne cet 'ailleurs' ou plutôt cette 'autre', ce 'désir' qu'éprouve Adèle au début du récit. Emma devient la passion d'Adèle, celle qui la rend heureuse (chose qu'Emma ne semble pas bien comprendre), et Adèle s'empresse donc de dévorer Emma aussi souvent qu'elle le peut. Car Adèle est faite ainsi ! Elle se jettera sur Emma et s'abandonnera sans plus tarder à des plaisirs charnels parce qu'elle l'aime au même titre qu'elle se jette sur ses spaghettis parce qu'elle aime manger.

Si la première partie du film nous présente cette période d'adolescence où Adèle se cherche, se perd puis se trouve grâce à Emma, la seconde partie montre la fin de leur relation et la fin de l'enchantement. Il n'est non pas question d'un couple qui ne parvient pas à s'entendre au bout d'un moment mais d'un couple qui, forcé par certains événements, va être séparé par le 'destin' en quelques sortes, un 'destin' où la passion n'entre plus en compte. Petit à petit, alors qu'une formidable empathie envers le personnage d'Adèle s'est installée dès le début auprès du spectateur, celui-ci assite à des moments plus douloureux. La scène de dispute entre Adèle et Emma est de loin l'un des points culminants de tout le film, tant le jeu des actrices est excellent et la scène est forte et suscite l'émotion. Là encore, le pouvoir des plans rapprochés de Kechiche joue énormément. Car le cinéma de Kechiche est un cinéma du réel. Kechiche filme la réalité en gros plan et il n'y a rien de plus vrai que de voir Adèle en train de pleurer en gros plan devant la caméra, les cheveux défaits, les larmes abondantes et la morve au bout du nez. Le même phénomène se répétera plus tard dans le récit, lorsque Adèle, devenue institutrice désormais, retrouve Emma quelques temps ou années après leur séparation. Là encore, l'émotion fait rage, sans pour autant qu'elle soit provoquée par des effets dans l'image ou des musiques larmoyantes. Le cinéma de Kechiche est rendu puissant par le simple usage des gros plans, et – bien entendu – par une direction d'acteurs conséquente !

Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux crèvent l'écran de par leurs interprétations. Elles se livrent corps et âme pour incarner chacun de leurs personnages. Leurs jeux sont très justes malgré la difficulté des scènes (rires, pleurs, scènes de sexe et autres...) à tel point qu'on ne peut vraiment distinguer laquelle des deux actrices est la meilleure. Si on peut discuter la nécessité de 3 heures pour cette histoire d'amour, il convient tout de même de reconnaître que le résultat est purement fascinant et émouvant, tant grâce à la direction d'acteurs et au jeu de ceux-ci qu'à l'usage des gros plans pour cerner les moments de vérité. Après la dernière scène, qui se termine sur une note de déception émotionnelle face aux événements (et non pas une déception vis à vis de la fin du film elle-même, entendons-nous bien), le spectateur repart le cœur lourd de ces trois heures où se croisent des émotions des plus diverses. Le film est, à l'image des portraits d'Adèle qu'Emma peints dans le film, comme un souvenir d'une passion qui aurait existé puis se serait éteinte. Kechiche se comporte un peu comme une seconde Emma extérieure à l'histoire, qui retracerait les événements à travers son art – soit le cinéma – en mettant un accent sur notre empathie pour le personnage extrêmement sensuel d'Adèle (la muse d'Emma et, en quelques sortes, celle de Kechiche aussi, pour qui Adèle est le point central du film à qui tout arrive) ainsi que sur sa passion pour Emma qui nous fascine, le tout en exprimant une certaine sacralité de toute cette période de relation magique qui a animé les deux femmes du début jusqu'à la fin, un peu à l'image des tableaux de Klimt qu'Emma apprécie et dont on imagine qu'elle s'inspire.

L'autre force de "La Vie d'Adèle", c'est également son étonnante capacité à aborder bon nombre de thèmes de manière subtile, qui constituent déjà à eux seuls une grande richesse du film. Passons le thème de l'homosexualité qui est pratiquement considéré comme acquis par Kechiche, "la Vie d'Adèle" s'aventure à décrire les notions de passion et de désir, bien plus que de l'amour, à travers la rencontre de ces deux personnages, mais également après leur rupture. Le film parle également d'adolescence et du passage vers l'âge adulte, auquel on peut joindre les thèmes de la découverte puis de l'affirmation de soi ainsi que celui de la liberté. A côté de cela, "La Vie d'Adèle" cumule les références artistiques et porte un discours – ou plutôt un questionnement – fort un intéressant sur l'art (lié à la philosophie) à notre époque. Car Kechiche lui-même est un artiste désireux de liberté, exprimant celle-ci ouvertement à travers son art. Le cinéma de Kechiche est un cinéma du réel, où les gros plans captent la vérité, la vie, qu'elle soit belle, laide, nue ou autrement, et où le résultat final est magique et fort en émotions. Alors oui, "La Vie d'Adèle" mérite de loin sa Palme d'Or !
Ciné-Look
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le 13 oct. 2013

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