Ils sont frais mes clichés, ils sont frais !

Attention, la liste qui va suivre n'est pas un name-dropping fanatique et prétentieux. J'annonce : Daniel Auteuil, Vidya Balan, Naomi Kawase, Nicole Kidman, Ang Lee, Cristian Mungiu, Lynne Ramsay et Christophe Waltz sont aujourd'hui les hommes et les femmes au plus mauvais goût de l'année, puisque c'est bien à cause d'eux qu'Abdellatif Kechiche et ses deux plantes vertes se sont retrouvés avec entre les mains la prestigieuses palme d'or du festival de Cannes 2013 pour la terrifiante Vie d'Adèle.
On l'attendait, il a fini par arriver, ce moment fatidique où on prend notre courage à deux mains, un lundi soir pluvieux, et on va s'enfermer dans une salle obscure, en se disant, naïfs et encore purs : « Certes ça va durer trois heures, le pitch n'a pas l'air passionnant, mais bon, c'est quand même Kechiche non ? Et puis en plus, c'est la palme ! Allez Julie, assied-toi confortablement, ça peut pas être foncièrement mauvais. » Erreur funeste ma pauvre Julie. Ta dernière réflexion de jeune personne pleine d'espoir, trois heures après, tu y repenseras en te disant « A l'époque, j'étais jeune et bête ! »
Alors, alors, par quoi on commence ? Allez, parlons des scènes de repas, parce que ça, quand même, c'était le top, et qu'au début, faut frapper fort. Dans la famille d'Adèle, la vie n'est pas facile tous les jours. Ici, comme dans la vie réelle (non, ça, c'est pas vrai), comme on est des classes moyennes, on mange devant Julien Lepers en mangeant des spaghettis bolognaises la bouche ouverte (parce que manger bouche fermée, c'est bien trop raffiné voyez-vous) en se délectant d'un vin rouge qui tâche. Ce repère de cliché ne gène personne ? Super, alors on continue ! Rendez-vous galant, avec son nouveau copain. « Tu veux qu'on aille se poser en terrasse, pour profiter du soleil ? » Adèle dira oui, mais pas n'importe laquelle ! Un grec ou rien ! Qu'elle mangera d'ailleurs, toujours la bouche ouverte, béante, en discourant sur combien Marivaux la touche, mais attends une seconde, j'ai un bout de poulet entre les dents... Ensuite, la classe supérieure, dans laquelle ils mangent des huitres en sirotant un Châblis « tu-me-diras-ce-que-t'en-penses... ». Ou encore ce dîner organisé avec tous les amis d'Emma, avec les fameuses bolognaises et du champagne, signe du mélange entre les deux femmes, une sorte de Roméo et Juliette moderne ! Pauvre Willy Shakespeare...
On ne s'éternisera pas sur ces scènes d'amour qui ont secoué le monde du septième art. Oui, c'est trop long, non, ça n'est pas très crédible, oui, ça a du être désagréable à tourner, oui, on vous plaint. Ah non, pardon, on ne vous plaint pas.
Entre deux repas, que fait Adèle ? Elle rit, elle pleure, elle montre un air bêta quand son Emma déblatère des réflexions à ras des pâquerettes sur Klimt et Schiele (artistes sur lesquels elle est supposée écrire un mémoire rappelons-le, en quatrième année des Beaux-Arts, rappelons-le aussi), elle raconte un peu ce qu'il y a dans sa tête à coups de « mais non mais je suis heureuse à ma manière, tu vois ce que je veux dire non ? ». Non, on voit pas non. Tout ce qu'on voit, c'est que ça fait une heure, deux heures, deux heures et demie qu'on est assis tous ensemble et qu'on se demande toujours ce qu'on fait là, tout en sachant que c'est loin d'être fini...