L'atout majeur du film, c'est son actrice principale, Adèle Exarchopoulos. Une trouvaille, une révélation et pourtant c'est la seule qui donne l'impression de ne pas être professionnelle, ou plus exactement celle qui donne l'impression de ne pas être dirigée par ce diable de Kechiche. Je m'explique, on sent bien qu'il a détecté son potentiel extraordinaire, cette multitude d'expressions que la caméra peut capter ; alors moins il lui donne de consignes, plus il gagnera en réalisme, car il est bien question de cinéma vérité. Pendant la première heure, j'ai éprouvé de la gêne pour Adèle : que des plans serrés sur elle, de longs plans séquences et comme elle incarne le plus naturellement à la fois une fille timide, parfois mal à l'aise ou déstabilisée, basculant du rire aux larmes ; il ne va pas la ménager : c'est un peu le prix à payer si l'on veut atteindre un tel degré d'authenticité. Peut-être que Kechiche en fait un peu trop par moment, il ne peut s'empêcher, quand elle dort, la bouche ouverte de s'attarder sur sa sensualité et sa nudité. Volonté d'accentuer graduellement l'érotisme tout en donnant l'impression d'être un peintre qui croque sa muse puisque la peinture va jouer un rôle important. Parfois la métaphore est lourdingue (la scène avec les huîtres), surtout juste après la première scène de sexe, la plus torride que j'ai vu depuis l'empire des sens (mais les mauvaises langues parleront de porno ce qui est absurde puisque il ne nous montre pas les organes génitaux et je considère toujours le film de Nagisa Ōshima comme un film d'amour absolu ou bien encore le plus beau porno jamais réalisé). Voilà donc une scène particulièrement osée ou les filles se donnent sans retenue et comme je suis un garçon, je l'ai trouvée très excitante alors que la scène de cul dans le secret de Brokeback Mountain m'a juste donné envie d'éteindre la TV. Autant dire que l'homosexualité crue passe bien mieux au cinéma avec des filles qu'avec des garçons mais je parle pour moi. Dommage aussi d'intégrer Léa Seydoux dans la scène de masturbation pour montrer qu'Adèle est excitée par une fille (qu'elle n'a fait que croiser une fois). Autre métaphore trop visible, la transmission du bleu, lorsque Léa Seydoux abandonne sa teinture/peinture pour une autre couleur, c'est Adèle qui se pare (s'empare?) d'une robe bleue à la fin du film. Et dernier reproche, cette façon d'appuyer les différences sociales entre les deux familles, les intellos tolérants d'un côté, les prolos de l'autre (qui mangent des spaghettis devant la télé) à qui on dissimule la vérité. Je reconnais que c'est un exercice cinématographique difficile mais Kechiche aurait pu éviter un tel grand écart car il n'est jamais loin de la caricature. Mais ces petits défauts sont finalement bien peu de chose pour un très grand film de 3 heures, jamais ennuyeux, passionnant et très intense. Encore une fois - et je ne sais pas si la polémique autour des conditions de tournage est véridique et contestable – le résultat (époustouflant) prouve bien que savoir exploiter le talent d'une actrice implique parfois des méthodes à priori indéfendables et tyranniques. D'autant qu'à ma connaissance, Kechiche n'est pas le premier réalisateur à trainer ce type de réputation. L'histoire du cinéma en regorge.
Yeahmister
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ces acteurs et actrices qui passent derrière la caméra et N'en déplaise aux grincheux le cinéma français se porte bien

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le 8 oct. 2014

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Yeahmister

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