La note moyenne accordée à ce film est incompréhensible.
Car, passées les quelques réserves que l'on peut légitimement avoir face au jeu (pas incroyable) de certains acteurs à certains moments, cette adaptation du roman Arlington Park de Rachel Cusk mérite très amplement le détour, dans le fond comme dans la forme.


Déjà, alors je sais que le casting ne fait pas tout, m'enfin voyez la distribution tout de même - que des pointures de la comédie (dramatique) tricolore : Emmanuelle Devos (immanquablement poignante dans tous ses rôles), Natacha Régnier, Julie Ferrier (une vraie révélation depuis L'Arnacoeur), Laurent Poitrenaux, sans oublier Marie-Christine Barrault, formidable en mère désabusée - sans doute une des meilleures scènes du film.


Comme le titre du film l'indique, il s'agit de rendre compte du quotidien domestique des familles urbaines occidentales, leur rythme de métronome, le rangement de la maison en pilote automatique, la journée réglée par les horaires scolaires des enfants. Le père souvent absent pour son boulot ou overbooké dans son costume-cravate du matin, laissant sa femme s'occuper du reste des heures diurnes. La femme a le temps et elle vit dans le confort matériel : de quoi se plaindrait-elle ?


La plupart des mères quadras du film ont toutes délaissé leur carrière pour s'investir dans leur vie de famille ou tentent, comme Devos, d'allier l'utile à l'agréable (ateliers littéraires en lycée pro - scène qui n'est pas sans rappeler l'ambiance de classe d'Entre les murs, d'ailleurs) ou écriture de quelques articles. L'argent est une question importante, surtout dans ce couple, où le mari reproche manifestement à son épouse de ne pas contribuer suffisamment. On notera le mépris paternaliste et goguenard qu'entraîne invariablement l'annonce des activités littéraires d'Emmanuelle Devos : "Oh c'est bien mon chou ça t'occupe", en gros.


Personne dans ce film ne paraît vraiment malheureux. Dans cette banlieue préservée, au cadre verdoyant (très joliment filmé),tout semble respirer une forme d'équilibre et de félicité (de façade). Pourtant, partout, sourdent la déception, la réalité pas assez vaste pour les rêves qu'on nourrissait, l'aigreur rentrée, la superficialité pour meubler l'ennui, le désœuvrement manifeste - le manque de sens, en somme.


Le quotidien des mères au foyer est particulièrement bien rendu, entre sessions inintéressantes au square, petit-déjeuner soporifique où chacune joue à la mère parfaite, gestion délicate des enfants et différentiels éducatifs (comme lorsque le petit Robinson dessine sur le canapé en cuir blanc). Il convient aussi de souligner l'importance des prénoms des enfants, tous faisant écho aux classes CSP+ bien sous tous rapports, finalement toutes ces familles se ressemblent et jusqu'aux maisons qu'ils habitent et qui semblent presque interchangeables.


On assiste à la monotonie, au caractère monocorde et conformiste de ces existences bien réglées - à dominante patriarcale et assez machiste finalement, ainsi que l'illustre très bien le dîner de fin où les femmes restent silencieuses tandis que les hommes parlent de sujets sérieux. Tacitement, les hommes (les maris) contribuent à l'effacement des femmes en ne leur laissant en partage que l'espace domestique, l'organisation de l'intérieur, la préparation des repas. On remarque toutefois, paradoxalement, que le mari de Devos, dès le début, interroge souvent sa femme pour prendre telle ou telle décision : au fond, c'est elle qui décide et qui le drive, même si socialement, cela n'apparaît pas.


L'intrigue prend une belle épaisseur dramatique avec le fait divers qui entoure le récit, celui de cette disparition d'enfant, avec notamment pour point d'orgue cette scène (déchirante mais esthétiquement très réussie) de brigade fluviale au bord de la rivière, devant laquelle s'arrêtent, interdites, Noguerra et Devos. Tout se joue dans les silences, dans les regards, bien plus que dans ce qui est dit : ainsi de cette scène de fin comme un tableau, cette femme qui regarde la réalité en face, qui se sent à mi-chemin. Sur les épaules de laquelle pèsent bien des responsabilités, des devoirs et des regards, à commencer par celui de la société qui dira si elle est une bonne mère.


C'est un film de femmes, sur les femmes et pour les femmes, selon moi. Un film dans lequel je pense que toute mère de famille pourra reconnaître quelque chose de sa propre vie et de ses propres interrogations : élever des enfants est-il un rôle comme un autre ? Faut-il choisir entre vie de famille et vie professionnelle ? Comment gérer la solitude particulière de la mère au foyer ? Existe-t-il une rivalité larvée entre mères de famille ? Et surtout, celle que toute mère se pose : quelle vie aurait été la mienne sans enfants ?


Porté par des acteurs savoureux, tout en intensité refrénée, La vie domestique offre à la fois des dialogues souvent très réussis tout en ouvrant le champ de la réflexion sur la vie de famille, le rôle de la mère au foyer, le tiraillement de la femme et de la mère, la vitrine sociale de la famille, le sentiment d'inutilité, la chute des idéaux ou encore l'éducation des enfants.


Une radiographie de la famille contemporaine à la fois intelligente, politique, pudique et émouvante qui m'a énormément plu !

Créée

le 17 mars 2019

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