Paradoxalement, alors que le cinéma muet connait ses dernières brillantes années, il se traduit par une liberté que le cinéma aura bien du mal à retrouver dans les décennies suivantes, liberté sur les thèmes abordés, sur les scènes de passion même si beaucoup est évidemment suggéré.


On pense par exemple à Journal d’une fille perdue de Georg Wilhelm Pabst (1929), qui aborde notamment le thème de viol d’une adolescente, chassée ensuite par sa famille et tombant dans la prostitution ou encore aux personnages pervers des Rapaces de Von Stroheim (1924).


La chair et le diable est une dramatique historique d’amour, racontant la passion, l’adultère, l’amitié et certainement l’homosexualité.
Léo et Ulrich sont deux jeunes nobles, unis par une grande amitié, amitié se teintant peut être aussi d’un certain amour comme le montrent les embrassades ou les regards échangés, ou encore la jalousie d’Ulrich s’apercevant que Léo vient de tomber amoureux d’une belle comtesse, répondant au doux prénom de Félicitas.


Léo et Félicitas vivent une folle passion mais sont surpris par le Mari qui provoque Léo en duel. Le mari occis et au désespoir de la belle comtesse, Léo est envoyé en mission en Afrique par l’Armée.


A son retour, il apprend qu’Ulrich a épousé Félicitas. Par amitié, il décide de renoncer à son amour mais celle-ci, bien décidée à reprendre l’homme qu’elle aime, le poursuit de ses assiduités.


Greta Garbo et John Gilbert interprètent avec passion les deux amants, de façon d’autant plus réaliste qu’une véritable histoire d’amour est née entre les deux acteurs durant le tournage. Leurs scènes ensemble, passionnément enlacés et échangeant des baisers ardents émeuvent d’autant plus qu’elles ne seraient donc pas que du cinéma.
De fait, John et Greta semblent prêts à se marier peu de temps après, du moins John Gilbert , car Greta Garbo , fidèle à son image de star atypique, l’abandonnera le jour du mariage.


Suite à une remarque peu fine du grand patron de la MGM, Louis B. Mayer « Pas besoin de l’épouser, tu pourrais juste coucher avec elle », le fiancé délaissé envoya au tapis le grand homme qui aurait alors juré de détruire sa carrière.
La vengeance de Louis B. Mayer sera terrible. Certaines prises de sons de la voix de Gilbert auraient été sabotées, rendant sa voix peu virile dans le film Glorious night (1929) tandis que les engagements sur des films de qualité se raréfiaient de plus en plus.
L’entendre dans les derniers films de sa carrière, comme dans Downstairs en 1932, semble accréditer cette thèse, car, d’après les extraits entendus, sa voix est plutôt agréable.


Quoi qu’il en soi, le pauvre John sombrera définitivement dans l’alcoolisme et dans l’oubli des studios de cinéma et décédera peu après d’une crise cardiaque, à 38 ans à peine, après une carrière de près de 100 films.
Greta devait quant à elle poursuivre son chemin avant son retrait en pleine gloire, laissant à jamais son image de Divine.


Agée à peine de 21 ans, Greta Garbo fait cependant bien plus mûre dans ce film. Sa présence est électrique et son jeu déjà bien affirmé.
Aux côtés des deux vedettes, on notera Lars Hanson (Ulrich) dont le fard et le jeu outré datent terriblement tandis que la lumineuse Herta, sœur d’Ulrich, amoureuse de Léo, est interprétée par Barbara Kent qui apporte une grande fraîcheur à l’ensemble du film.


On retiendra du film un ensemble de scènes « osées » comme la coquette scène d’essayage de la tenue de deuil, le moment de la communion dans l’église où Garbo retourne le calice présenté par le prêtre pour poser ses lèvres au même endroit que celles de son amant, les scènes de baisers passionnés et d’abandon des deux amants après l’amour ou encore, si on cherche un peu plus, les embrassades peu viriles des deux amis.


L’élément comique du film est assuré par le Pasteur Voss, qui rencontrant plusieurs fois deux soeurs jumelles pense qu’il voit double, à cause de son penchant pour l’alcool, et semble se promettre de ne plus boire.
Comique aussi sans doute involontaire tandis qu’il se lance dans un violent sermon contre l’adultère en racontant l’histoire du Roi David et de sa liaison adultère avec la femme d’Urie – on peut noter une certaine ressemblance avec le nom d’Ulrich -tandis que dans l’assemblée, Léo le regarde d’un air désespéré et coupable et que Felicitas se remet du rouge à lèvres avant de faire semblant de tomber évanouie.


Trouvailles techniques et visuelles sur les surimpressions, les jeux d’ombre et lumière comme le visage des deux amants juste éclairés par la lueur d’une cigarette et une image restaurée d’une grande beauté. Tout ceci contribue à l’intérêt que l’on prendra à voir le film, à une certaine fascination ressentie malgré un scénario et des situations assez convenus voire à la limite du ridicule – comme la visite d’Herta à Félicitas pour la supplier de sauver Léo et d’empêcher les deux amis de s’entretuer avec pleurs, prières au Tout-Puissant et bras tendus en supplications vers l’héroïne effondrée et anéantie.


Bien sûr, les extérieurs sur l’île de l’amitié et le final dans la neige montrent des décors peints assez peu réalistes et la fin de l’histoire est assez expédiée, mais le film possède un charme intemporel né du plaisir de voir les deux acteurs à l’écran. On en vient parfois à oublier que le film est muet tant chaque scène et chaque geste sont empreints de sens.


Un beau film à découvrir pour rendre justice à un acteur dont la triste fin a fait oublier sa longue carrière, l’émotion de son jeu et sa présence à l’écran, et pour regarder le jeu intense de Greta Garbo.

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le 21 mai 2019

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m-claudine1

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