La grande bellezza par Hugo Harnois
Tout le monde cherche ce qu'il n'a pas. Le pouvoir, la richesse, le talent. Mais quoiqu'il arrive, nous finirons déçus de ne pas avoir accompli une ambition cachée, personnelle. La Grande Bellezza, c'est l'histoire d'un vide qu'un homme n'a pas réussi à combler. Malgré les fêtes, malgré l'argent, malgré lui. Jep Gambardella est un intellect et critique de théâtre qui n'a écrit qu'un roman il y a quarante ans. Depuis, plus rien, à moins qu'il ne trouve « la grande beauté » pour être de nouveau inspiré...
La Grande Bellezza est un hommage à Fellini (remémorons-nous le somptueux Roma) en filmant de façon très respectueuse la Ville Éternelle. Paolo Sorrentino opère des plans somptueux, cadrés au millimètre près et à la fluidité sans pareille. Son superbe montage très bien rythmé correspond à la ferveur des nuits romaines. Alors qu'un touriste fait un arrêt cardiaque après avoir été frappé par tant de beauté, la fête peut commencer. Les gens crient, dansent et s'embrassent. Mais pendant qu'ils s'amusent, le spectateur n'attend qu'une chose : l'apparition de Toni Servillo (Gomorra, Il Divo), l'acteur fétiche de Sorrentino, qui va envahir le cadre de manière électrique. Le charme de ce comédien se produit instantanément, au premier regard, à la première esquisse d'un sourire enjôleur. Une scène d'introduction à couper le souffle, qui prouve que vous allez assister à du grand cinéma.
Le cinéaste contemple des individus emprisonnés par leurs propres chaînes. Il remet en cause l'être humain dans ses certitudes. Entre des conversations vides qui fusent à cent à l'heure et qui ne s'arrêtent plus, de grandes vérités sont dites par l'intermédiaire du fabuleux personnage incarné par Toni Servillo. Les mensonges que nous créons fabriquent notre identité. Le réalisateur les dévoile tous et chaque individu peut prendre ses remarques pour lui en se remettant en cause. La religion (le futur pape ne parlant que de cuisine) comme l'art (une jeune fille forcée contre son gré à peindre) sont eux aussi renvoyés dos à dos. Grâce à son écriture et ses thèmes, le réalisateur italien dépeint une société aussi belle que futile.
Le protagoniste joué par Servillo est bien évidemment le point central de cette œuvre. Par son caractère singulier, c'est lui qui donne au film ce ton très cynique et nostalgique. Il est mélancolique car s'il a souhaité vivre cette existence, il est désormais dans le regret. Rarement une telle ambivalence chez un personnage n'a vu le jour au cinéma. Cet homme est à la fois à l'extérieur et à l'intérieur. Il sait parfaitement quelle est sa place dans ce cercle intello-bourgeoise qu'il ne supporte plus. Pourtant, il continue de l'accepter en allant quotidiennement à ces soirées mondaines, où le paraître a pris depuis bien longtemps le dessus sur l'être.
À l'image d'un artiste maudit, Jep cherche ce qu'il ne peut obtenir, un bonheur perdu, un souvenir prenant une place trop importante dans sa mémoire. Mais, peut-être que cette grande beauté est là, à sa portée, et qu'il suffit simplement de la saisir. Un récit existentialiste qui vous fera réfléchir, longtemps après sa vision.
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