Après avoir reçu le prix du jury pour Il Divo en 2008 et le prix œcuménique pour This Must be the place en 2011, le talentueux Paolo Sorrentino était de retour sur la croisette cette année, où il présentait pour la cinquième fois (ndlr sur un total de 6 longs-métrages!) un film en compétition officielle : La Grande Bellezza, nommé dans pas moins de 9 catégories.
Rome, une nuit d’été, sur les hauteurs de la ville, dominant le Colisée, la fête bat son plein dans la villa du riche et séduisant Jep Gambardella, où, comme beaucoup d’autres nuits, le gratin de la bourgeoisie romaine vient se déhancher, s’amuser, se surprendre et se perdre, toujours un peu plus, dans les déboires de la fête. Oui mais voila, pour Jep Gambardella, cette nuit n’est pas une énième nuit comme les autres; cette nuit il vient d’avoir 65 ans et, d’un coup, d’un seul, il prend conscience de la vacuité de son existence. Jep Gambardella est écrivain. Du moins, il le fut un temps, jusqu’à l’écriture de son premier roman, L’appareil humain, roman grâce auquel il connut la gloire, mais après lequel il renonça à l’écriture, faute d’avoir rencontré le Beau comme il l’avoue volontiers, ou peut-être par peur de l’échec comme il n’ose se l’avouer à lui-même. Depuis, il est devenu journaliste à succès; il interviewe des artistes, qui n’ont d’artiste que le nom tant leurs œuvres sont absurdes et grotesques ; et, la nuit tombée, il ère de fête en soirée, se dandinant tel un séducteur aguerri parmi les femmes-objets, les cadres sup en rut et les mondains romains en tous genres.

Si les scènes de fête portées à l’écran nous font tourner la tête, tant les musiques sont retentissantes, les personnages délirants, les costumes éblouissants, les situations vertigineuses, et les mouvements de caméras, travellings avant, arrière, latéraux étourdissants, La Grande Bellezza est loin de n’être qu’un film sur les excentricités de la bourgeoisie italienne. Bien plus profond que ça, sur fond de strass et de paillettes, La Grande Bellezza est un film sur le néant, le néant auquel se retrouve confronté Jep et qu’il est incapable de décrire. « Si Flaubert n’est pas parvenu à écrire un roman sur le néant, comment y parviendrais-je ? » s’exclame-t-il alors. Le néant, l’absurde et la grossièreté de l’Homme quand il continue de vivre en faisant comme si tout faisait encore sens autour de lui.

Autour de ce beau monde justement, se dresse la grande et magnifique cité de Rome, que Paolo Sorrentino sait filmer mieux que quiconque. Dès cette scène d’ouverture, où, devant la Gambardella sublimée par les rayons du soleil, un touriste japonais, foudroyé par la Beauté, perd connaissance, on comprend qu’on va voir Rome comme on ne l’avait encore jamais vue. Et effectivement, on va se balader dans cette ville à a fois moderne et éternelle, boire aux fontaines, observer des enfants courir dans les jardins des couvents, se faufiler à l’intérieur des plus beaux palais, rencontrer une nonne adepte de la chirurgie esthétique, méditer dans des chapelles isolées et croiser une girafe au milieu des vestiges. Ajouter à cela une bande originale où se mêlent grands morceaux classiques et tubes contemporains à l’instar du « Far L’Amore » de Bob Sinclar et tous vos sens seront en émoi devant cette explosion de Beauté qui s’offre à vous : Bellissimo !

Oui mais, à 65 ans, a-t-on encore le temps de redonner un sens à sa vie ? Pendant 2h30, Toni Servillo, tout simplement incroyable dans son rôle de Jep Gambardella, personnage à l’intégrité intellectuelle absolue, va accumuler les rencontres et écouter les histoires, du mari de sa première conquête venant lui annoncer que cette dernière n’a jamais aimé que lui, à un très vieil ami lui demandant de marier sa fille, en passant par ce cardinal qui préfère vanter ses talents culinaires plutôt que de répondre aux questions qui lui sont posées sur la spiritualité. Le chemin de croix vers la quête de sens, parsemé d’embûches, s’achèvera en apothéose avec la rencontre d’un ersatz de Sainte-Thérèse, symbole s’il n’en n’est qu’un de la vie sensée personnifiée! A l’aune de sa vie, Jep touche du bout des doigts la béatitude, Parviendra-t-il à écrire de nouveau ou se laissera–t-il bercer par la vie jusqu’à sa mort ? C’est ainsi que le film s’achève, sans apporter de réponse aux nombreuses questions qu’il a soulevées, nous laissant, nous, pauvres spectateurs du film, spectateurs de nos propres vies. Seule certitude, énoncée par Jep, avant qu’il ne nous quitte, «Il nous reste encore de belles choses à faire. L’avenir est merveilleux»
Lucie_Carette
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le 15 juil. 2014

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