Si « La nuit a dévoré le monde » part sur une histoire semblant prévisible, le film prend son envol progressivement avec douceur et subtilité. La cause de l’épidémie ne sera jamais expliquée et les zombies ne feront que nourrir les angoisses de Sam. Des angoisses finalement déjà présentes dès le départ. Il n’a rien d’un héro particulier, il apparaît même antipathique sur certains aspects. Qu’importe car c’est justement sur ce point que le film est pertinent : le zombie n’est plus, comme chez Romero, la métaphore de l’inhumanité par la société mais la peur du monde, de l’ouverture à l’autre ou du manque de communication. Sam ne se cache pas mais fuit l’extérieur en fait. Le mal qui a fait basculer le monde est arrivé sans crier gare car l’égoïsme humain a empêché de voir l’essentiel. Ce n’est pas du moralisme de bas étage ou un constat arrogant, juste le ressenti d’un homme désespéré qui est le survivant d’un monde qui était déjà mort.


Sans sombrer dans la fatalité, la caméra accompagne intimement le quotidien de Sam dans des plans d’une lumière d’une pure blancheur (presque divine en rapport à l’apocalypse ?). Quasiment contemplative, la narration sait être nerveuse pour rappeler le danger (dévoilant certaines scènes brutales et sanglantes) tout en privilégiant l’organisation quotidienne de Sam. Là encore, il ne s’agit pas que de survie. Alors qu’on le découvrait abattu, lassé de sa rupture avec sa copine, obligé de rester à une fête, il réapprend à se découvrir, se prendre en main, faire des gestes simples et nécessaires. Il reprend même goût à sa passion pour la musique, se servant de son environnement pour produire des sons. Le son, la voix, les bruits, des détails au premier abord sans importance qui prendront pourtant tout leurs sens au fil des jours. Que ce soit dans son rapport avec ce mort-vivant muet coincé dans un ascenseur ou la rage de taper frénétiquement dans une batterie pour hurler son existence au monde, Sam doit rester un homme coûte que coûte.


On pourrait craindre que le film ait fait le tour de son discours ou de ses idées en une demi heure, il n’en est rien. On est ému par l’évolution psychologique de Sam, son courage et son désespoir feront écho à tous ceux qui ont été touchés par la détresse de leur existence. La dernière partie pourrait faire craindre une certaine facilité scénaristique, Dominique Rocher nous rassurera cependant en allant jusqu’au bout de ses intentions. Ce sera un évènement tragique et son impact sur lui-même qui lui offriront la clef de sa libération. L’appartement devenait une prison et même la musique ne pouvait l’aider. A quoi bon vivre si on ne choisit pas de sortir, d’aller vers le monde ? Entre suspense, survie et drame réaliste, l’horreur française peut donc se trouver une réelle définition à défaut d’être d’une grande originalité. C’est un brassage de plusieurs styles comme le faisait Julia Ducournau avec « Grave ».


L’acteur jouant Sam ne livre peut-être pas une très grande performance et le choix de deux acteurs étrangers pour les rôles principaux pourraient nous demander si Dominique Rocher n’en fait pas un peu trop dans son souci d’universalité. Cependant, son implication, la qualité technique, la beauté envoûtante de la musique et une photographie épousant le ton de l’histoire prouvent que le cinéma d’horreur a vraiment sa place en France en plus d’un réel public prêt à accueillir des propositions de ce genre. Chaque endroit de l’immeuble, chaque recoin du dehors reflètent une vie qui grouille, qui s’agite et qui ne demande qu’à être exploré au-delà du danger des zombies. Étonnamment, le discours de Rocher est plutôt optimiste. Le monde a connu la fin des Hommes mais pas la fin de la vie. Sam peut tenter maintenant de redécouvrir le monde, de le reconquérir à sa manière.


« La nuit a dévoré le monde » est donc une joli surprise. Ayant connu un bon buzz au dernier festival de Gérardmer, sa vision confirme qu’elle est à la fois une vraie expérience et proposition de cinéma. C’est surtout un film d’horreur français réussi avec une sensibilité unique, une approche du genre qui donne envie de voir Rocher continuer sur cette voie.

AdrienDoussot
8
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le 19 oct. 2020

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