Talentueux mais relativement boudé outre-Atlantique, James Gray est de ces cinéastes ne se départageant pas de leur signature personnelle : sa trilogie « thématique » new-yorkaise, qui rythma sans hâte aucune sa filmographie pendant treize ans, en est un bon exemple, Little Odessa et The Yards ayant essuyé de beaux revers au box-office.


Le son de cloche fut néanmoins différent pour le petit dernier du lot, We Own the Night ayant trouvé les faveurs du public à l’aune d’un thriller d’excellente facture, à contre-courant de productions récentes davantage tape-à-l’œil : frisant d’ailleurs l’hommage évident aux polars d’antan, le long-métrage est un joli tour de force sans fioritures, l’intrigue parvenant à concilier trame de fond résolument manichéenne et écriture tout en subtilité.


Cela pourrait tenir du paradoxe, mais le fait est que We Own the Night démontre d’un sacré doigté : scindant ses protagonistes en deux camps distincts, et faisant la part belle à une police glorifiée sans trop en faire, le film en oublierait presque toute notion de nuance si Bobby Green n’incarnait pas ce fusible si précieux. Et là est bien son mérite premier : tandis que ce dernier constitue un entre-deux des plus captivants, le récit parvient rapidement à nous faire adhérer à cette vision binaire, l’héroïsme modeste des forces de l’ordre s’opposant sans coup férir à la froide barbarie de gangsters sans foi ni loi.


Mais par-delà l’intrigue policière, James Gray privilégie avant tout l’humain, à l’aune d’un prisme familial primordial : cette composante s’entremêle de toute façon habilement avec la toile de fond criminelle, et nous dépeint donc une belle brochette de personnalités jamais figées. Le cas des Grusinsky (le trio Phoenix/Wahlberg/Duvall crève l’écran avec maestria) est alors symptomatique d’une époque cosmopolite, trouble et passionnante, où les acquis et ressentiments seront mis à mal au gré d’épreuves profondément remuantes - la transformation pertinente de Bobby en attestera, mais pas seulement.


We Own the Night fait ainsi preuve d’une justesse de ton confondante, les tourments affectant le suscité et ses proches nous prenant tout autant à la gorge : il n’est alors guère surprenant que l’identification s’opère aussi aisément, l’empathie régnant en maître. Et puis il faut bien convenir que le long-métrage possède d’autres cordes à son arc, à commencer par son enrobage formellement à tomber : dans la droite lignée d’une retenue classieuse, la trame se pare de superbes atours telle son imagerie austère mais irréprochable, sa photographie faisant siennes ombres et lumières et enfin la musique somptueuse de Wojciech Kilar (Le Pianiste).


Parfaits supports d’une atmosphère immersive à souhait, le film brisera qui plus est savamment la monotonie de son rythme au sein de séquences redoutables d’efficacité, la tension allant soudainement crescendo nous frappant sans crier gare : on pense notamment à l’oppressante visite du laboratoire, qui m’avait littéralement scié les pattes lors de mon premier visionnage, ou encore à cette pluvieuse course-poursuite marquée d’un funeste sceau.


Nous pourrions toutefois regretter un certain laisser-aller lors de dernier quart de We Own the Night, la résolution armée apportant son lot de petits dérapages tranchant avec la maîtrise de l’ensemble : la poursuite à travers « champs » et l’exécution s’ensuivant n’étaient en ce sens guère nécessaires, au même titre que l’empreinte théâtrale du dernier « échange » entre Bobby et Marat, au milieu d’une ronde de policiers tenant lieu de témoins silencieux sacralisant l’événement.


Il ne s’agit cependant là que d’une légère remontrance, l’œuvre de James Gray se concluant avec brio : dans un maelström d’émotions contradictoires, le cadet des Grusinsky parachèvera sa transformation en renouant définitivement avec un Joseph marqué à jamais, « heureux » dénouement pourtant endeuillé selon deux axes tout aussi dramatiques : l’adieu au père, et l’amour perdu. Chienne de vie.

NiERONiMO
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le 6 oct. 2018

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NiERONiMO

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