Entre faiblesse et cruauté
Franck est un gendarme dans un petit bled de l'Oise. Plutôt réservé, voir étrange, c'est pourtant un agent modèle, investie et motivé. Du moins en apparence. Car la nuit tombée, l'agent de l'ordre troque son costume bleu pour le blouson noir, se transformant en véritable chasseur de proies féminines.
Le plus étonnant dans cette histoire vraie, tirée d'un fait divers apparu à la fin des années 1970, c'est que Franck va enquêter sur ses propres meurtres, ce qui lui donne bien entendu une longueur d'avance. Une sorte de Dexter des villages.
"La prochaine fois je viserai le cœur" est un film intriguant et assez singulier, il faut le dire. Un film qui fait plutôt du bien dans un catalogue français de moins en moins surprenant. Même si le film de Anger est loin d'être une bombe, il possède néanmoins de nombreux atouts.
Sur le fond, c'est un film policier axé sur un fait divers et exposant le protagoniste meurtrier. De fait, rien de très nouveau, d'autant plus que le réalisateur aborde cette histoire de manière très classique, ce qui permet néanmoins de ne pas prendre de risques inutiles.
Toutefois, c'est dans le traitement et l'esthétique que Anger marque des points. Finalement, le récit ne s'attarde pas beaucoup (voir quasiment pas) sur l'enquête policière. La caméra reste branchée sur le personnage de Franck, son quotidien, sa pseudo histoire amoureuse, ses pulsions, ses auto-punitions, ses provocations écrites, sa maladie mentale...
Et tout cela est filmé de manière très habile, grâce à des plans contemplatifs et une photographie qui traduisent à merveille une ambiance à la fois glauque et malsaine. D'autre part, Cédric Anger fait preuve d'ingéniosité en mettant en scène quelques séquences inspirées. Je pense notamment au très réussi plan-séquence suivant la voiture de Franck de l'extérieur, pendant que ce dernier tue une auto-stoppeuse au revolver.
Guillaume Canet est assez surprenant. Je doutais quant à sa crédibilité de jouer un psychopathe avec sa petite gueule d'ange, mais au final, le résultat est plutôt convainquant. Assez juste dans l'expression de la souffrance interne de son personnage, lors de toutes les scènes d'auto-punition. Un peu moins durant les scènes de dialogue, même si son travail sur le visage inexpressif arrive parfois à nous faire croire à un personnage malade et un brin flippant.
Par ailleurs, Ana Girardot assure également dans la peau de cette femme naïve et amoureuse d'un homme dont elle ne connaît que la façade.
"La prochaine fois je viserai le cœur" est un film intéressant, bien réalisé, plutôt bien interprété. Un film majeur dans la filmographie de Canet, sans aucun doute. Et Anger arrive a nous dépeindre une ambiance singulière, qui est de surcroît coordonnée par les différents éléments narratifs et techniques de son film.
Même si le récit manque peut-être un peu de substance pour accentuer l'épaisseur psychologique du personnage, on est toutefois face à une histoire dérangeante dont la sobriété du traitement attise notre curiosité perverse.
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