Le néo-libéralisme érigé en religion, voilà ce que nous propose la Puissance de l'intention. Ce documentaire aux contours flous, et aux élans mystiques, nous assène des vérités confuses.


Les notions philosophiques abordées sont rincées de toute saveur et profondeur. Qu'est-ce que la puissance dont il est question ? Quel sens accorde-t-on ici à ce mot si lourd de signification ? On sent que la réception de Nietzsche n'est pas bien loin, mais bâclée, violée. Ce documentaire emploie le terme de puissance et de pouvoir sur le même mode, alors que le premier se définit comme la capacité de faire, et le second, la capacité de faire faire. Et c'est une nuance énorme et lourde de sens, qui a déjà fait passer Nietzsche pour un penseur nazi. Donc oui, il faut développer sa puissance pour s'émanciper. Et là où la philosophie cherche une vérité qui repose sur notre expérience du monde, là où la philosophie nous invite à bousculer les cadres et à s'extraire de nos conditionnements, ce documentaire prend un ton résolument contre-révolutionnaire.


L'obsession est celle de la réussite, sans un seul soupçon sur l'objet de cette réussite. Le modèle ultime est d'ailleurs à un moment énoncé : réussir c'est avoir une entreprise qui marche. Réussir est une fin, et cela se fait dans le modèle social qui nous entoure. On nous invite à ne pas se rebeller (question de vibration, vous comprenez) mais à se responsabiliser. En gros, il s'agit de laisser le monde tel qu'il est pour mieux s'y conformer soi. Le problème c'est nous, le problème c'est qu'on n'a pas encore assez intégré leur religion pour tout à fait accepter ce néo-libéralisme totalitaire qui tente de s'implanter dans nos têtes (et qui y arrive déjà bien assez). Se responsabiliser, ne pas se victimiser : l'idée qui se cache est celle du libre arbitre, cette croyance néo-libérale qui justifie la domination et la misère de ceux qui ne parviennent pas à se sortir de là. Oui, l'enjeu de ce documentaire est clairement politique, même s'il ne l'avoue à aucun moment. Et pourtant, on a le droit au laïus sur l'entreprise, on a le droit à une atténuation de l'argument des conditionnements sociaux avec un "Ok, mais quand même quand on veut on peut". Ce qui est inconcevable aujourd'hui, c'est de s'imaginer dépendant de notre environnement, ON DOIT nécessairement être libre et porteur d'un Moi indépendant, une conscience responsable, question de fierté quoi !


Mais quand même, c'est indéniable qu'il y a des choses qui nous dépassent et qui ne dépendent pas de notre propre volonté. Notre intention a clairement des limites ! C'est donc en évoquant l'inconscient, un inconscient foutraque et presque magique, que ce documentaire parvient à régler le paradoxe. Il faut donc explorer son inconscient. Tout est une affaire personnelle. Donc pas d'aliénation, mais uniquement un inconscient déréglé. Un point de vue individuel où chacun constitue son propre monde grâce à son propre regard. Plusieurs vérités qui se juxtaposent. Soit, je suis d'accord sur ce point précis mais ce n'est pas suffisant à mon sens, le mouvement est double. Le documentaire nie totalement l'emprise du monde sur notre conscience et sur la création de ce que nous sommes. Et pour cela, j'en appellerais à Hume et à l'empirisme qui nous explique que les idées naissent par l'expérience du monde. Ce documentaire propose un point de vue innéiste, c'est peut-être bien d'expliciter la chose.


Le documentaire ne se permet pas de réfléchir en détails au bien-fondé des aspirations de chacun à la réussite. Vu qu'il nous présente le libre arbitre comme vérité absolue, il n'est nullement possible de croire, partant de là, que nous puissions être façonnés par ce qui nous entoure, ni de s'imaginer que nos fantasmes de réussite puissent avoir un rapport avec une quelconque accumulation d'images marchandes. Et puis on a le droit à l'éternel discours sur le bonheur pour chacun (mais quel bonheur ?) et à des petites touches chrétiennes sur l'amour. Le tout est complètement halluciné et bancal.


Pas de concept, des généralités sur la vie dignes d'un pilier de bar devenu manager, et une certaine volonté de faire du forcing argumentatif. Oui, parce qu'il faut faire gober tout ça. Outre la petite musique de fond qui nous en fout plein les sentiments et les appels à des personnalités illustres (appels qui sont bien souvent des semi trahisons), les arguments scientifiques sont d'une mauvaise foi sans borne. Il suffit de se renseigner deux minutes sur Internet pour se rendre compte du manque de fiabilité dans les protocoles scientifiques des expériences évoquées. Encore un documentaire qui a du se dire que puisque c'est scientifique, ça passera comme une vérité, sans aucun problème. Bref, ce film est un vrai bijou pour tout spécialiste en zététique qui aurait le temps de démonter point par point chaque argument (et pour ma part j'aurais encore de quoi dire, c'est un gouffre infini).


Pourquoi tant de violence envers un documentaire "bête" ? Parce qu'en plus d'être "bête", il est "méchant". Et que ce qui se cache derrière cette poudre aux yeux scintillante, c'est toute une idéologie que l'ON tend de plus en plus à nous faire gober, c'est un spot de propagande féroce qui vise à maintenir un système difficilement acceptable en déplaçant le problème sur l'individu, en lui faisant prendre conscience que ce n'est pas l'organisation du monde qui crée sa misère à lui, mais lui-même, dans son refus de cette organisation arbitraire et injuste. Une arme contre-révolutionnaire efficace pour nous faire totalement intégrer le néo-libéralisme et nous balancer de la norme. Un bon moyen d'empêcher toute prétention à sortir du cadre. D'ailleurs, il ne faut pas s'étonner si la première personnalité citée dans le résumé du film (disponible sur la page SC de l'oeuvre) n'est autre qu'Henry Ford ! (oui, celui qui a lancé le fordisme, le mec qui a en partie financé Hitler) Puis vient Napoleon Hill, un gourou du développement personnel qui avait pour mentor un multimillionnaire... Que des mecs sympas qui ont vraiment envie de changer le système ! (ou pas)


Puis quand même, en guest star dans ce documentaire, il y a David Laroche, notre poison quotidien, qui, non fier de côtoyer les plus grands leaders américains (putain de réussite !), nous développe personnellement pour un peu plus nous remplir du vide qui nous entoure !


Un enrobage clinquant pour un intérieur vomitif.

King-Jo
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le 9 sept. 2016

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King-Jo

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