Laissez bronzer les cadavres c'est à la fois excitant comme une sieste crapuleuse sur une plage écrasée de soleil et une brûlure violente de la rétine. Un coup de soleil au cerveau que même une bonne crème cinématographique indice 50 n'aura pas suffit à prévenir.
Les 2 précédents opus ; Amer et L’étange couleur des larmes de ton corps ; de Hélène Cattet et Bruno Forzani nous avait gentiment préparés. Mais Laissez bronzer les cadavres marque un point d’orgue dans leur travail d’une cohérence thématique et formelle impeccable.
Il faudrait inventer un nouveau langage pour parler de Laisser bronzer les cadavres parce que l’expérience vécue en salle est si intense et particulière que les mots ne suffissent pas à la décrire. Le film pourrait agacer par ses parti-pris formels audacieux mais cette destruction des codes classiques de la narration se trouve au final être complètement réjouissante. Les réalisateurs tracent un chemin brûlant comme une rivière de lave dans un paysage cinématographique souvent moribond. Rien de moins. Préparez vous donc à vivre une expérience unique, hallucinatoire, profondément attachée à ses racines cinéphiles et complètement moderne dans son traitement. Hélène Cattet et Bruno Forzani convoquent tous un pan de la cinéphile bis et déviante, s’y plongent avec jubilation et accouchent d’un maelström visuel complètement jouissif. Un croisement débridé entre western italien, polar d'une noirceur abyssale, performance artistique et trip onirique… Mais tous les names dropping ne pourront résumer l’expérience à laquelle nous invite Hélène Cattet et Bruno Forzani. Ils nous font partager leur amour sans précédent du cinéma de genre avec foi incroyable en l’expression sensitive et sensuelle de l’image et du son. Chaque plan, chaque son est ciselé avec une précision d’orfèvre. Un fétichisme qui touche à la maniaquerie pour toucher l’expression la plus pure d’une idée, souvent démentielle. Matières, textures, corps, respirations, transpiration, poils, seins, sécretions. Les réalisateurs sculptent leur mise en scène, malmène la temporalité, violente chaque séquence pour en extraire le suc primordial. En cela ils sont les défricheurs d'un langage cinématographique pur ; comme Georges Miller par exemple qui dans Fury Road rend hommage à tout un pan du cinéma muet. Ce langage se déleste de ses influences anciennes (littérature, théâtre...) pour puiser ses sources dans l'histoire même du médium. En cela on pourrait les rapprocher des impressionnistes en peinture qui se sont libéré de l'académisme du sujet en peinture pour explorer l'aspect purement pictural de la lumière, des événements fugitifs et les possibilités expressives du médium. Hélène Cattet et Bruno Forzani se placent à la fois dans la ligne de l'avant-garde cinématographique (Jean Epstein, Abel Gance, Luis Bunuel...) et le cinéma expérimental mais également dans la culture bis et le cinéma de genre. Ils font les connexions évidentes entre ces 2 pans du cinéma qui ne semblent avoir rien en commun uniquement pour celui qui regarde mal.
Il se pourrait bien que Laisser bronzer les cadavres soit le film auquel la notion d’art cinématographique conviennent le mieux ces derniers temps.
Il faut regarder Laissez Bronzer les Cadavres.