Étalon du film noir, film programmatique et matriciel de l’œuvre multiforme de Preminger, je vais m'attaquer au chef-d’œuvre du réalisateur autrichien : Laura. Ce dernier définit lui-même ce film comme son premier, ce qui revient à renier son premier film autrichien Die Grosse Liebe et quatre films hollywoodiens mineurs tournés pour la Fox. On ne s'en étonnera pas venant d'un homme qui commence son autobiographie par son arrivée au Etats-Unis, l'assimilant à une seconde naissance. Ce thème de la renaissance sera d'ailleurs très important dans toute sa filmographie et notamment dans le film qui nous intéresse ici.
L'intrigue se base sur les jours qui suivent la mort de Laura Hunt (interprétée par Gene Tierney), une jeune femme convoitée par plusieurs hommes. Véritable figure de la femme fatale, son meurtre fera l'objet d'une enquête du détective Mark McPherson (Dana Andrews) qui tombera immédiatement amoureux du portrait de la défunte. Déjà on le voit, les éléments principaux du films noirs sont réunis : personnage féminin incandescent, personnages masculins ambigus, éléments morbides etc. Le contexte de la sortie de Laura est celui de l'émergence du film noir. Si l'on élude Le Faucon Maltais en 1941, le premier film américain considéré comme "noir" est souvent Assurance sur la Mort de Billy Wilder, sorti la même année que Laura. Tout le genre est encore à définir à cette époque, ce qui est important pour saisir l’originalité tant formelle que thématique du film de Preminger.
L'importance de Laura Hunt nous est désignée à la fois par le titre et le générique, extrêmement sobre où les titres défilent sur un portrait de Laura. La musique de David Raksin se met en place durant le générique avec un thème qui nimbera toutes les évocations/apparitions du personnage féminin. Le personnage de Laura restera en effet collé à la peau de Gene Tierney, à qui Otto Preminger fera également appel pour Where the sidewalk ends et Whirlpool, au côté encore de Dana Andrews.
La structure du film est particulièrement originale. En effet, les évènements survenant à la mort de Laura nous sont d'abord contés par le chroniqueur mondain Wildo Lydecker, avant que la narration se déplace pour suivre l'enquête du côté du détective. Mais le film reste surtout célèbre pour sa caractérisation en creux du personnage de Laura, et pour sa réapparition à la moitié du film. Alors que tout l'entourage de la jeune femme se remet à peine de l'annonce de sa mort, ce coup de théâtre relance l'intrigue du film avec de nouvelles interrogation puisqu'on ignore à qui appartient le cadavre retrouvé dans l'appartement de Laura. Tout l'enjeu du film est de mettre McPherson face à tous les acteurs en présence et de faire la part entre ce qu'on lui dit, ce qui est vrai, ses propres sentiments envers Laura etc. Cet effet de mise en scène a fait couler beaucoup d'encre puisque la scène qui précède le "retour" de Laura est assez ambiguë. McPherson, après avoir bu quelques verres dans l'appartement de la défunte qu'il ne parvient plus à quitter, s'endort sur le fauteuil, juste en dessous du portrait de Laura. A l'arrivée de Laura dans la pièce se joue un jeu de triangularité entre McPherson, Laura "vivante" et Laura "morte" (celle du tableau). Mais la question qui se pose c'est surtout l'éventualité d'un rêve du détective, qui se poursuivrait durant toute la deuxième moitié du film.
On a donc une mise en scène ambivalente ou le rêve se confond avec la réalité, un héritage direct de l'expressionnisme allemand. Otto Preminger fait d'ailleurs partie d'un ensemble de cinéaste que certains critiques rejoignaient sous la banière de L'Ecole Allemande. Cet héritage se ressent aussi dans la photographie de Joe LaSchelle, alors débutant, qui remportera l'oscar pour ce film. Un jeu d'ombres et lumières constant, des contrastes appuyés, parfois déréalisant les situation et toujours une adaptation aux "codes" d'Hollywood et de la starification de rigueur.
L'intrigue du film est finalement assez complexe, s'enrichissant de chaque témoignage et coup de théâtre jusqu'au final haletant. On a donc avec ce film une matérialisation de sujets chers à Preminger, avec une mise en scène programmatique de la patte qu'il gardera tout au long de sa carrière et notamment dans ses film noirs. Le film premingerien par excellence, donc.
LucasBillard
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le 8 déc. 2013

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LucasBillard

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