L'universalisme selon le génie québécois

Xavier Dolan, selon ses apparences, n'a rien d'un réalisateur qui pourrait me plaire. Et pourtant... Ses deux premiers films, (j'ai tué ma mère et les amours imaginaires), regorgent d'une esthétique "hipster" où les personnages, fringués comme des gosses de riche, donnent l'impression de vivre, dans certains extraits, dans un monde hermétique et replié sur des préoccupations d'adulescents capricieux, bien éloignées des réalités du monde. Des thèmes tels que l'identité sexuelle et le rejet des minorités fait sourire les critiques à la plume facile. Car il est de bon ton de cracher sur les "bobos" et leur subversion bon marché. Mais arrêter son regard là-dessus, ne rend absolument pas justice au talent de ce jeune prodige québécois.

Laurence Anyways marque un tournant dans la jeune carrière de Dolan. Ses deux premiers films, bien que réussis, restaient encore un peu trop proches de son propre quotidien et de son propre vécu. Tandis qu'avec ce dernier opus, il choisit une autre époque et des personnages d'un autre âge que le sien. Ce qui va faire évoluer en diversité des caractéristiques des personnages, tant sur le plan psychologique que visuel (avec des costumes plus variés que ce qui nous a été donné de voir jusqu'ici). Mais le seul motif qui justifie la comparaison avec ses deux premiers films, c'est de démontrer la maturité qu'a acquéri ici Dolan.
L'histoire en elle-même, peut donner l'impression de plonger dans un univers glauque enrobé de bons sentiments. Le parcours d'un homme, qui aimait tellement sa femme (et les femmes) qu'il a fini par vouloir devenir une femme. La quète d'identité sexuelle et de vouloir être accepté tel(le) quel(le) sont bien entendu des thèmes développés dans ce film, mais pas que. Dolan ne nous parle pas d'une forme de marginalité, mais de la marginalité en elle-même. Il ne nous parle pas de l'amour hétéro, ou homo ou des sentiments d'un transgenre, il nous parle de l'amour en général. Quel que soit notre mode de vie, il est très difficile de ne pas regarder ce film sans retrouver dans au moins une scène, quelque chose que nous n'avons pas vécu nous-mêmes au moins une fois. Cette histoire ne se contente pas de faire d'un sujet "tabou" un sujet de film, elle relève ce qu'il y a d'universel en chacun de nous et c'est ce qui rend cette histoire touchante et réussie. Loin des clichés, Laurence n'est pas qu'une folle pleine de sensiblerie qui se plaint de ne pas être acceptée par les gens dits "normaux", elle sait faire preuve de tempéramment et de caractère quand elle doit se défendre face aux moqueries, aux remarques, et aussi face aux agressions physiques. Melvil Poupaud et Susanne Clément nous offrent tous deux une prestation absolument remarquable pleine de beauté et de subtilité. L'histoire de Laurence (l'homme) et Fred (la femme) est belle et attachante, malgré la tristesse de leur échec.

Le tout est un habile jonglage entre scènes dialoguées (et superbement jouées) et de scènes très esthétisées, sous forme de clips musicaux avec des très bonnes musiques très bien choisies (If I had a heart de fever ray et a new error de moderat, cinquième symphonie de Beethoven, premier mouvement, pour ne citer que celles là). Xavier Dolan semble avoir trouvé le bon compromis entre un cinéma très littéraire (le cinéma français classique), qui met le dialogue et le jeu d'acteur au centre de tout et un cinéma plus basé sur l'image, un peu à la manière d'Hitchcock ou de Kubrick, qui sont capables de nous raconter des histoires et de nous faire comprendre énormément de choses, sans qu'une seule parole ne soit prononcée. En somme, un véritable chef d'oeuvre. Un petit bémol, le long des deux heures quarante de film, je ne suis pas sûr que toutes les scènes et tous les plans aient leur utilité. Certains passages un peu longs, auraient pu être plus efficaces avec quelques plans en moins. Mais ça peut se discuter.
TafiteDiet
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le 6 mars 2013

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