J'ai enfin pu voir ce chef-d'œuvre, et pourtant j'en suis à ma 4ème vision : découvert au cinéma durant l'été 1999, vu deux fois en DVD par la suite et donc maintenant en Blu-ray, avec cette superbe édition collector limitée qui lève le voile sur un des tournages les plus chaotiques des années 90. Grâce à elle, j'ai enfin pu faire mon deuil d'une éventuelle « director's cut » et su apprécier totalement le film en lui-même : oui, « Le 13ème Guerrier » est un chef-d'œuvre.

Imparfait certes, mais c'est peut-être ce qui le rend plus attachant encore, « Le 13ème Guerrier » est un film balafré, qui a souffert sur le champ de bataille qu'a représenté sa production. Son montage est sec, efficace, il va à l'essentiel et porte la signature de Michael Crichton, producteur et auteur du livre « Les Mangeurs de morts », paru en 1976 et dont est adapté le film. Le montage original de John McTiernan – à peine plus long de dix minutes ! – aurait peut-être été plus approprié, plus aéré, mais on ne le verra sans doute jamais, donc autant lâcher l'affaire : j'admets enfin le film tel qu'il est et j'assume l'intense plaisir cinématographique qu'il me procure en l'état. Le montage est très resserré, des personnages auraient mérité d'être un peu plus développés, mais au moins on ne s'ennuie pas une seule minute et le film se suit avec le plus grand bonheur.

On peut déjà saluer l'audace d'avoir fait un blockbuster hollywoodien où le héros est musulman. Dans le rôle d'Ahmed Ibn Fahdlan, Antonio Banderas se révèle parfait, sûrement l'une des meilleures performances de sa carrière. La présence d'Omar Sharif au début assure la filiation avec « Lawrence d'Arabie » et le cinéma de David Lean, même si l'intrigue évoque surtout « Les Sept Samouraïs » d'Akira Kurosawa. McTiernan aurait aussi aimé pouvoir rendre un hommage plus évident au final du « Zoulou » de Cy Endfield, mais cela ne sera pas possible.

Mais plus que ces références, ce qui m'a marqué à travers cette nouvelle vision, c'est surtout l'indéniable influence du « 13ème Guerrier » sur « Le Seigneur des anneaux ». Tolkien s'étant passionné pour la légende de Beowulf, il est logique d'y relever des corrélations entre son œuvre et le roman de Crichton, mais du coup son adaptation par McTiernan a surtout bien défriché le terrain pour Peter Jackson. On retrouve notamment au début du film la formation d'une communauté pour mener à bien une quête (détruire la menace qui pèse sur le village viking / détruire l'Anneau qui met en danger la Terre du Milieu), mais aussi la camaraderie entre individus de peuples différents (Arabes et Vikings / Nains, Hobbits, Elfes et Hommes), le roi en puissance qui va révéler toute sa valeur (Buliwyf / Aragorn), le siège du château par les créatures des ténèbres (Wendols / Orques) et à la fin le héros entreprend d'écrire le récit de son aventure pour la postérité – d'ailleurs, Banderas fait tellement petit par rapport aux Vikings que l'on pourrait presque dire qu'il est comme un Hobbit !

L'histoire du « 13ème Guerrier » tend par ailleurs vers l'évhémérisme (théorie selon laquelle les dieux étaient des personnages réels qui furent divinisés après leur mort) dans le sens où l'on revient à la source même du poème épique consacré à Beowulf, qui serait donc une déformation du nom « Buliwyf », personnage interprété avec aplomb par l'imposant Vladimir Kulich, qui trouvait là le rôle de sa vie. À travers ce choc des cultures, entre un Arabe civilisé et des Vikings un peu rudes, le film va proposer un récit initiatique où le protagoniste va devoir devenir à son tour un guerrier en étant confronté à des êtres primaires, les Wendols. Ces hommes préhistoriques, de féroces anthropophages néandertaliens, sont traités au départ comme des ennemis invisibles, à l'instar de l'extraterrestre de « Predator », qui attaquent à la faveur de l'obscurité et du brouillard, disparaissent en emportant leurs défunts et s'habillent pour ressembler à des ours et laisser penser d'eux qu'ils sont d'insaisissables créatures démoniaques.

Ce monde onirique et cauchemardesque est dépeint d'une manière incroyable grâce à une somptueuse photographie naturaliste, qui joue avec la lueur des flammes, la brume et la lumière du soleil – quand il y en a, le film baignant dans une ambiance particulièrement sombre. Le film se veut puissant, authentique, et use pour cela de décors réels, construits en dur, et ira employer jusqu'à 200 cavaliers Wendols à la fin, armés de torches pour incendier le village des Vikings. À l'issue de l'aventure, la séquence de la mort de Buliwyf se montre véritablement d'anthologie : le personnage meurt assis sur de simples rondins de bois, mais sa posture apparaît tellement héroïque – le dos bien droit, les yeux grands ouverts, l'épée plantée à ses côtés – qu'elle semble digne d'un roi.

Parmi les autres grandes qualités du film, on ne peut faire l'impasse sur la musique magnifique qu'a composée Jerry Goldsmith, grandiose et envoûtante. Notons aussi que le film n'est pas dénué d'humour, notamment grâce au personnage d'Herger (joué par Dennis Storhøi) et compte son lot de répliques mémorables. Et même si c'est avant tout une histoire d'hommes, le principal personnage féminin, campé par la gracieuse Maria Bonnevie, sait marquer les esprits grâce au lien émotionnel tissé avec le héros, qui trouvera auprès d'elle source de réconfort après chaque attaque, une bien belle idée.

Une édition collector « de la mort qui tue » serait encore possible et pourrait inclure la « director's cut » présentée aux projections tests, les scènes coupées, voire même – soyons fous ! – le court métrage « The Demon's Daughter » de John McTiernan (déjà avec des Vikings !), mais ceci semble fort peu probable et restera au stade du fantasme ultime de fan. On peut donc se réjouir de cette édition Blu-ray, qui propose un documentaire passionnant (« À la recherche des mangeurs de morts ») et un livret particulièrement instructif, surtout quant aux différentes phases d'une production confuse : on apprend par exemple que c'est l'actrice Kristen Cloke (« Destination finale », « Space 2063 ») qui joue finalement la Mère des Wendols dans le film, et non la comédienne citée au générique.

Aujourd'hui encore, « Le 13ème Guerrier » demeure toujours le meilleur film de Vikings jamais fait, et est à mes yeux devenu un véritable classique : l'un des plus grands films épiques de l'histoire du cinéma !
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le 16 nov. 2011

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X-Ben

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