Le Balcon
Le Balcon

Film de Joseph Strick (1963)

Il s'agit de l'adaptation américaine d'une pièce de Jean Genet dérangeante et culottée, si bien que je ne peux qu'admirer le cran qu'il a fallu aux acteurs et à la production pour mener ce projet à terme dans l'Amérique puritaine du début des sixties. Une pièce qui critique toute forme de pouvoir comme une représentation ridicule, avec des pratiques sado-masochistes, qui renvoie dos à dos les deux camps de la guerre froide, qui vomit le conformisme. Chapeau, vraiment.


Mme Irma (S. Winters) tient un bordel, seule institution qui tient debout dans une cité/un pays en guerre, où la reine, le général, l'archevêque sont tous morts. Les clients du bordel viennent y oublier ce quotidien insupportable en se déguisant l'un en général parlant à une prostituée affublée d'une queue de cheval sur le popotin, l'autre en évêque, le troisième en juge qui demande à une fausse accusée de lui ordonner de lui lécher les pieds. L'amant de Mme Irma, le Chef de la police (P. Falk), vient se réfugier au bordel. Il demande à Irma de sortir dans la foule jouer la reine.


Elle refuse, mais pousse ses trois clients fétichistes à monter dans une voiture déguisés en évêque, en général et en juge. Eux s'exécutent, et le stratagème marche : la foule se débande. Le Chef de la police n'apprécie pas que ce trio commence à se prendre au sérieux et essaie de les tuer avec le petit pistolet de Mme Irma, mais ce n'est qu'une arme factice. Mme Irma, déguisée en reine, s'abandonne dans les bras du Chef de la Police, mais sa suivante, Carmen, annonce que Roger (L. Nimoy, méconnaissable), le chef des rebelles est venu traiter. Elle se présente devant lui, sous les traits de la Gloire, et il se prend au jeu. Le chef de la police arrive et ils s'étranglent mutuellement, mais Mme Irma les fait déshabiller par ses filles et les expulse en serviettes dans la rue. Elle s'adresse au public, face-caméra, en lui disant de rentrer chez lui mener une vie moins réelle que ce fillm.


Je n'ai pas lu la pièce de Jean Genet, mais je reconnais sa patte, et je suis étonné qu'elle ait été aussi peu édulcorée. Ce film est bien plus choquant et gonflé que beaucoup de films récents. Le noir et blanc est réussi, en revanche le montage prises de studio/stock-shots de foules en délire est très artificiel (est-ce fait exprès, me direz-vous ? Je n'en sais rien). Le film fait tout de même sacrément fauché, mais ça passe. Les acteurs sont excellents, de Shelley Winters en tenancière de bordel gironde aux penchants lesbiens, qui mène la danse, en passant par Peter Falk dans un rôle très inattendu de dictateur au petit pied, sans oublier le trio de couillons, très savoureux, ou le passage de la si belle Lee Grant (oui je regardais ce film par curiosité, mais aussi pour le casting).


Stravinsky à la musique, mais honnêtement il y en a peu, c'est assez anecdotique.


Une scène incroyable : celle de P. Falk faisant un discours radiodiffusé du nationalisme le plus ridicule, les veines gonflées, devant un parterre de putes qui l'écoutent avec un air plein de révérence. Et puis des petites remarques géniales, comme quand Winters dit à une de ses gagneuses : "Ne les satisfais pas complétement, sinon ils ne reviennent plus". Brillant.


Devant une adaptation aussi fidèle, la seule question qui se pose, au fond, c'est : "Aimez-vous le théâtre de Genet ?".

zardoz6704
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le 18 oct. 2015

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