La Kriegsmarine, ou la vie au grand air ?
"Das Boot" se passe sur un U-Boote en 1941. L'équipage, composé de jeunes gamins fêtards qui découvrent la France, embarque avec lui un colonel-reporter et un fan du Führer. Le commandant est dégoûté que l'on présente la guerre à ces jeunes comme une aventure de Karl May. Ce groupe va peu à peu passer d'une ambiance de dortoir étudiant à un groupe soudé par les horreurs de la guerre.
C'est un film avec des nazis, mais ici ils intéressent W. Petersen en tant qu'êtres humains. Mis à part l'officier nazi droit dans ses bottes, l'équipage est humain, aime chanter "Tipperary" ou écouter Edith Piaf, est content quand la soute du sous-marin déborde de victuailles, moins quand on descend en-dessous des 200 mètres de profondeur (à 220, les boulons partent comme des balles de fusil). Et du coup, on a peur pour eux et on se surprendrait presque, du moins au début, à souhaiter qu'ils réussissent leur mission, à savoir couler des bateaux anglais. Plus tard, le torpillage d'un bateau qui contenait encore des survivants révèle le versant horrible de leurs opérations.
En dépit de sa longueur (3 h 20) et de longues plages dénuées d'action, le film se révèle passionnant de bout en bout. C'était un véritable défi que de tenir le spectateur en haleine avec pour seul décor les couloirs étroits du sous-marin, contre lesquels les hommes n'arrêtent pas de se cogner avec le roulis, et le kiosque, avec pour seul horizon l'océan. Les mêmes plans se répètent : le capitaine et le premier timonier sur le kiosque avec des jumelles, éclaboussés par des vagues d'eau ; l'équipage qui attend, la tête tendue vers la trappe du kiosque ; le radio penché sur ses papiers ; le radar, qui fait pivoter le micro sous-marin ; la queue devant l'unique toilette du sous-marin ; les déjeuners au mess, plus compassés que ceux des dortoirs. La poésie de ces scènes, qui ont toujours un intérêt narratif, même dans leur répétition, évite la lassitude. Il faut aussi mentionner des travellings avant et arrière avec une steadicam maison, très dynamiques, dans les coursives : tout cela est fort magistralement minuté.
Et puis ces phases d'action, nimbées de lumière rouge ou bleue, avec des gros plans sur des visages tendues vers les sons venant de l'extérieur, tandis que les murs suintent. Et c'est avec ces deux procédés que l'action avance : l'expression des visages, sur laquelle Petersen a fait un beau travail, et le son, qui est un acteur à part entière. Les effets spéciaux, en-dehors des secousses et des tuyaux qui fuient, sont parcimonieux : un pétrolier qui explose ; l'attaque de la base de La Rochelle. Pour le reste, le scénario reprend un peu tous les incidents auxquels on peut s'attendre sur un sous-marin, avec l'idée d'un crescendo : avec le recours aux avions, menace terrorisante car quasi indétectable, les U-Boot sont condamnés, comme le suggère le carton du début.
Pas de surenchère dans l'horreur, mais le film de sous-marin, quand il atteint cette perfection, réussit mieux que le film de guerre classique à retranscrire le mélange de quotidien, d'attente exaspérée puis, dans les moments de crise, de lutte contre l'hystérie qui constituent la réalité de l'expérience guerrière au XXe siècle. Et puis ici, comme l'essentiel de l'équipage est composé de jeunes, on n'a pas le traditionnel conflit bleusaille qui doit faire ses preuves/vieux de la vieille. C'est même le mécanicien, qui en est à sa neuvième mission, qui craque, contre toute attente (son jeu est un peu caricatural, mon seul bémol, mais bon il incarne la victime de la guerre).
Un mot encore à dire sur les lumières, et surtout la couleur pour les extérieurs, qui constitue la patte de Petersen. Quelles images magnifiques que ce sous-marin gris sur fond de mer bleutée alors que le soleil couchant se dérobe derrière un horizon mauve. Ou encore la scène de remontée à la surface dans la rade de Vigo. La bande-son, lors de ces échappées, privilégie la musique classique. La poésie ne vient pas donc des scènes de combat, mais des a-côtés : elle a cependant un goût amer, puisque c'est avec ce romantisme indéniable que l'on a appâté ces jeunes gamins loin de chez eux.
Merci à Julie pour cette belle découverte. Décidément, avec Herzog et Wenders, il est difficile de minimiser l'originalité du cinéma allemand.