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La perspective d'un film relatant la vie d'une communauté autarcique vivant en marge de la couronne britannique, menée par un pasteur aux allures de prophète, se révélant être un lieu profondément fragile et se déréglant à l'arrivée d'un étranger, avait de quoi susciter l'intérêt. Apprendre que Gareth Evans officiait derrière la caméra promettait une image léchée, un exercice stylisée aux couleurs froides. Tout était réuni avec un casting pour le moins intriguant (Michael Sheen, charismatique, et l'excellent Mark Lewis Jones) afin d'offrir un film à minima angoissant à la partition correctement jouée.


Las, ce métrage ne restera pas dans mes annales personnelles, sa vision fut une profonde déception, et bien qu'ayant cherché à sauver quelques éléments épars tout au long du récit, j'ai du me résoudre à en conclure avec mes coreligionnaires avertis, que ce film est nul, nul et même parfois très nul.


Une nullité qui commence par le gros point noir de ce métrage, un jeu d'acteur tellement fermé et antipathique (Dan Stevens fait une moue dépressive de six pieds de long jusqu'au tout dernier ressort du récit) que l'on peine à s'attacher à un personnage. Le manque d'empathie provoquant une certaine indifférence à leur trajectoire. Ici peu ou pas de liens se tissent entre les différents protagonistes, et encore moins entre eux et le public. De ce fait, difficile d'avoir peur pour eux, de craindre, et finalement de ressentir une émotion. Ca en devient absurde au point que dans une scène de panique générale, quand une bonne dame vient s'enquérir de la santé du héros, on en arrive à se demander "mais pourquoi?" "Pourquoi elle, pourquoi maintenant?", pourquoi créer un semblant d’interaction alors que tout au long du film, le moindre habitant de cet île est un pantin, un figurant sans âme, sans ambition, sans profondeur.


Nullité du scénario également qui veut basculer dans une sorte de récit ésotérique mêlant évangélisme, idolâtrie, démonologie au point que des pans entier du film finissent par être abscons et totalement inexplicables. Qui est cette homme au visage enturbanné qui veille sur la divinité ? Qui sont les corps suspendus aux arbres ? Que deviennent les bêtes nées difformes du troupeau ? Que deviennent les gardes armés de la communauté ? Comment la couronne anglaise se contente t-elle d'envoyer un tueur quand l'île se trouve visiblement à une traite de bateau à aube de l'Angleterre et de garnisons bien plus aguerries? Qui est le père de Dan Stevens qu'on devine alité et débile tout autant que riche et puissant ? Pourquoi la couronne britannique craint-elle cette communauté? quel est le passé des trois fondateurs de la communauté, seraient ce des exilés politiques, religieux? qui?quoi?pourquoi? Le récit à tiroirs s'enferre dans un mic mac insoluble de détours et de propositions qui font de ce film un joyeux foutoire. Certes on sent une trame de départ, qui à elle seule aurait offert toutes les clés d'un bon objet filmique, mais ils ont voulu rajouter, sur-rajouter et au final ils se sont perdus. Ils ? non Gareth Evans tout seul, et cela ne m'étonne qu'à moitié.


J'adore ce réalisateur découvert avec MERANTAU en 2009, ma claque de cette année dans son genre, puis avec le diptyque sur THE RAID. Bien aidé il est par Iko Uwais qui chorégraphie de superbes combats rendant graphiquement à merveille. MERANTAU était une belle suite de fights au service d'un embryon d'histoire. THE RAID est une suite ininterrompu de fights avec peu d'histoire, BERANDAL sa suite n'est qu'un long combat sans histoire... La limite de Gareth Evans est qu'il est un metteur en scène hors pair, avec une vraie vision artistique. Mais il n'est pas une plume, il ne raconte rien, il admire, projette, montre, propose, mais il n'est pas un conteur. Je n'ai appris qu'après avoir vu le film qu'il en était le scénariste, et cela ne m'a pas étonné. Gareth Evans n'est pas fait pour écrire et encore moins quand il s'agit d'une oeuvre de commande bridant sa créativité.


Car au final ce APOSTLE est fade, sans saveur, et je ne reconnais pas le gore typique des oeuvre de Gareth Evans, je ne peux croire qu'il n'y a pas un cahier des charges qui, derrière, est venu brider, voire saccager, sa vision. Chaque scène où l'on attend un carnage finit par une horreur plus suggérée qu'éprouvée. Beaucoup de passages sont hors champ ou filmés en grand angle à distance, tuant dans l’œuf toute horreur visuelle et misant plus sur une vision d'ensemble, figée, quasi contemplative. Là on l'on attend une mise en action, l'action s'éteint, ce qui vide de sens le gore proposé, car nous ne le ressentons, nous ne le craignons plus.


Est ce là une alternative du réalisateur pour contourner les limites imposées par Netflix, où est ce un parti pris de faire de ce film une sorte de suite de tableaux semblables aux natures mortes flamandes du XVIIe ou de ces peintures représentant les charniers de la guerre de trente ans, le récit des après-combats -Et dieu sait que je suis féru d'histoire et d'art -, que ce soit dans la palette des couleurs ou dans le registre, tout s'y prête, mais malheureusement, que nous sommes loin du grand frisson attendu venant d'un réalisateur bâtissant son œuvre sur l'action et le mouvement !

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le 13 nov. 2018

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