Ca c'est pas une farce, c'est un film culte
D'accord, commencer avec une énorme tarte à la crème cette critique de Le Bon, la Brute et le Truand, ce n'est pas du meilleur effet. C'est juste qu'avant cette semaine, je n'avais jamais vu un seul Sergio Leone, tout ça à cause d'un mépris que j'entretenais à l'égard du western. Il m'aura fallu les True Grit des frères Cohen et autres Django Unchained pour me dire que, tiens, si ces films sont sympas, pourquoi ne pas remonter aux sources et voir ce que cela donne ? Si Pour une poignée de dollars m'avait plu mais sans plus, Et pour quelques dollars de plus m'avait séduite. Avec Le Bon, la Brute et le Truand, ce fut le coup de foudre.
Le scénario, pourtant, n'avait pas non plus de quoi m'emballer de prime abord : trois hommes à la recherche d'un magot enfoui dans un cimetière, le tout sur fond de guerre de Sécession. D'accord, c'est une vision très simpliste de la trame et pourtant cette base, que je ne trouve pas si transcendante que cela, permet à Leone de capturer trois heures d'anthologie.
Mais ce que j'ai appris, c'est que Le Bon, la Brute et le Truand est avant tout un bon film. Qu'on aime ou non le genre du western, qu'on méprise les quêtes triviales des personnages ou qu'on en soit friand, au final, peu importe. Quoiqu'on en pense, quoiqu'on en dise, on se laisse happer par la réalisation époustouflante de Leone.
Parce que ce film, c'est d'abord des plans : parfaitement cadrés, l'image frappe et reste imbriquée dans la tête du spectateur. Comment oublier ces gros plans sur les visages en sueur, tantôt effarés, tantôt confiants, des divers personnages, je vous le demande ?
Parce que c'est un casting. Une fois de plus, Clint Eastwood mâchouille son cigare avec cette mine crispée et distanciée qui le caractérise tant ; une fois de plus Lee Van Cleef affiche son visage parfois rieur mais toujours menaçant ; enfin, apparaît Eli Wallach dans le rôle du truand bouffonesque à souhait Tuco. Le duo Eastwood/Wallach est tout simplement truculent : au début complices, leurs relations oscillent entre "amitié" vache et rivalité cordiale. Loin des duos des films précédents, où les rapports entre le fameux homme sans nom et son potentiel accolyte (comme Lee Van Cleef dans Et pour quelques dollars de plus) sont plutôt distanciés, on sent déjà un attachement entre les deux personnages, même s'ils sont mus par des intérêts.
Parce que c'est une musique : on remercie le grand Ennio Morricone pour ses partitions qui marquent et qui ne nous abandonnent pas. Avant même de l'avoir vu, j'avais entendu maintes fois cette BO diversifiée mais qui garde une ligne musicale constante, à l'instar du film qui nous balade sans pourtant nous éloigner de ce qui constitue son coeur. La parole est rare, mais la musique transcende les mots et confère aux images une âme. Leone l'a amplement compris et a fait en sorte que le visuel et le musical se mêle dans une symbiose étourdissante et trépidante.
Parce qu'il y a cette scène : Sad Hill. L'aboutissement d'un travail, d'une réalisation, d'une trilogie. Là où toute l'esthétique de Sergio Leone est portée à son apogée. Là où on se laisse emporter par l'ivresse cupide de Tuco qui va jusqu'à nous donner le tournis sur fond de The Ecstasy of Gold. Là où nous appréhendons enfin le truel (excusez le néologisme), où le regard de la caméra, tout comme le nôtre, se pose sur ces visages, ces mains, dans l'expectative de la mort, ici, dans ce lieu sordide inondé par une multitude de tombes.
Alors bien sûr, je n'apprends rien aux cinéphiles les plus aguerris. Je ne développe pas une analyse profonde, je ne pourrais mettre le film que vaguement en contexte, et ma critique présente sûrement de grosses lacunes impardonnables. Mais ce n'est pas là mon but premier, loin de là. J'essaie, avec hésitation, de mettre des mots sur l'expérience cinématographique que j'ai vécu cette semaine et aussi de convaincre les plus réfractaires au genre de se débarrasser de leurs préjugés et de faire ce voyage au sud des Etats-Unis. Parce qu'une fois qu'on a vu ce chef-d'oeuvre, on ne voit radicalement plus les autres films du même oeil. C'est à ce moment-là que l'on développe son sens critique.