Le Bossu de Notre-Dame
6.6
Le Bossu de Notre-Dame

Long-métrage d'animation de Gary Trousdale et Kirk Wise (1996)

"L'Homme est-il un monstre ou le monstre un Homme ?"

Yop, c'est par ici pour la belle mise en page sur mon blog : https://miellez.wordpress.com/2022/11/03/le-bossu-de-notre-dame-accepter-les-differences/

Un jour, en terminale, j'ai discuté de Disney avec une camarade. Quand je lui ai
dis que je n'avais jamais apprécié le Roi Lion mais que j'avais grandi avec le Bossu
de Notre-Dame, elle m'a dit que j'avais raté mon enfance.
J'avais dix ou onze ans. Il avait neigé et je n'étais pas allée à l'école.
Navigant sur youtube, je décidais de regarder si le Bossu de Notre-Dame était
disponible (à cette époque, les films d'animations étaient trouvables très
facilement). De manière étrange, je regardais le début, puis la fin. J'appréciais ce
que je voyais, sans plus y penser.
L'année d'après, il a reneigé. Passant toujours la journée seule chez moi, je me
rappelais du Bossu de Notre-Dame et décidait cette fois de regarder le film en entier.
Disons le clairement, je n'ai rien compris. Je pensais que Frollo voulait tuer Esmeralda, je ne comprenais pas pourquoi elle préférait s'enticher d'un soldat plutôt que de Quasimodo et la moitié du dialogue étant en vieux français, je comprenais à peine. En revanche, je me souviens parfaitement de l'amour direct que j'ai eu pour les chansons, notamment Infernal et les cloches de Notre-Dame. Elles apportaient une grandeur phénoménale à ce film.
Comme par magie, le temps passe, et plus je grandis, plus je comprends l'histoire. Les dialogues. Les personnages. Je trouve le film de plus en plus grandiloquent, sombre, puissant. Et pourtant, quand arrive la période où je m'intéresse aux critiques du film, je découvre qu'il n'est pas aimé du tout, notamment à cause d'une « adaptation ratée ».
A quatorze ans je décide de m'attaquer au roman de Victor Hugo, tout en écoutant la comédie musicale. Si le livre est un des seuls du 19ème siècle que j'arrive à lire et à apprécier, je n'ai jamais trouvé l'adaptation ratée. Certes, l'histoire est édulcorée, Esmeralda et Quasimodo ne meurent pas, les relations entre les personnages sont différentes, Fleur-de-Lys, Gringoire, Jehan Frollo et Paquette disparaissent, et les gargouilles peuvent énerver, mais les thèmes principaux de la notion de fatalité, de critique de la politique, de critique sur le racisme et la répression des minorités, ainsi que des débordements de la religion sont bien présents. Différemment, peut être, mais je dirais adaptés à un public plus jeune.

La première grande réussite du film est, pour moi, les personnages.
Pour commencer, Quasimodo. Fidèle à sa description physique du livre, il est bossu, borgne, possède des cheveux roux, boite, possède des dents de travers. En revanche, si il est présenté comme un sauvage, un personnage plus proche de l'animal que de l'Homme dans le livre, ici les studios ont préféré, en faisant de lui le personnage principal, le présenter en un être doux, naïf et gentil.
Sa relation avec Frollo ne ressemble pas à celle d'un père et son fils mais bien d'un chien et de son maître. En revanche, dans le livre, elle est ainsi car Quasimodo ne peut vraiment réfléchir, il est damné dès son enfance et a bien de la chance d'avoir quelqu'un pour veiller sur lui. Ici, la soumission est plus cruelle au vu de la gentillesse du personnage : quand Frollo lui dit « Tu es difforme, et tu es très laid », on ressent véritablement la violence de ce qu'il dit. En revanche, et c'est un des meilleurs points du film, ses explications sont tout à fait raisonnable : « Ce sont des crimes aux yeux des Hommes qui sont sans pitié. […] En bas ils te traiteront de monstre. » Malheureusement, c'est la stricte vérité, même encore de nos jours. On se moque, on rigole, on a peur de la différence physique, le film le comprend et nous met cette phrase, prononcée par le méchant, dans la tête.
Ainsi, quand Quasimodo part la première fois à la fête des fous, au milieu du peuple, il ne s'accepte pas comme il est : il se prend toujours pour un monstre, car c'est ce que Frollo lui a dit. Il finit donc humilié et meurtri, parce que c'est ce qu'il pensait qu'il arriverait. Ce n'est qu'à la fin, quand il ne se verra plus comme une cruauté, mais juste comme un être humain, qu'il réussira à aller au milieu de la foule, et a être accepté.
Un de mes personnages Disney préférés ensuite : Esmeralda ! Ici on est comme pour Quasimodo : si sa description physique est la même que dans le livre, de ses cheveux bruns et épais à ses yeux envoûtants, psychologiquement, on a affaire à un tout autre personnage. Loin de la petite Esmeralda naïve et guillerette, on a là une jeune femme qui n'hésite pas à dire ce qu'elle pense, à s'opposer aux inégalités et revendiquer la justice dans une scène qui colle particulièrement les frissons. S'identifiant à Quasimodo lorsque celui-ci est torturé et moqué, elle est la seule à monter sur l'estrade et à s'opposer à Frollo, déclarant « Vous le maltraitez comme vous maltraitez mon peuple. […] Justice ! ».
Ainsi, si dans le livre elle refuse les avances de Frollo principalement par dégoût, ici on ressent plus une haine, une colère, un besoin de défier cette autorité qu'elle dénigre, démontré par un crachat. Elle est très probablement dégoûtée par le corps de cet homme, mais la faire se rebeller comme ça, avec un visage fermé et solide, alors qu'elle est aux mains de Frollo est une image particulièrement forte.
Si elle est montrée à la fin comme un personnage à sauver, le reste du film la montre comme une femme forte. Échappant de nombreuses fois à l'armée, réussissant à se cacher de Frollo, sauvant Phoebus, le caractère bien trempé du personnage ressort très facilement et c'est une des choses qui me fait l'apprécier plus que tout. Et, malgré qu'il faille la sauver à la fin, on ne dirait pas une frêle jeune princesse à conquérir, il y a quelque chose de plus vif, plus larmoyant à voir cette femme forte en chemise sur un bûcher.
Passons maintenant à Phoebus. J'ai dis plus haut que je ne comprenais pas, plus jeune, pourquoi Esmeralda le choisissait, lui, un garde.
Phoebus est dans le film l'exception qui confirme la règle. Alors que toute l'armée est montrée comme méchante envers les gitans et les passants (« Les gitans ne gagnent pas d'argent, ils le volent ! », sournoise (ce sont les soldats qui commencent par humilier Quasimodo) et ridicule, Phoebus lui a un port de tête fier, est doué pour se battre et n'a aucun préjugé sur les gitans. Il démontre que vraiment, dans ce film, il ne faut pas s'arrêter aux apparences : ce n'est pas que Quasimodo n'est pas beau qu'il est mauvais. Ce n'est pas qu'Esmeralda est issue d'une culture différente qu'elle est forcément mauvaise. Et ce n'est donc pas parce que Pheobus est un soldat qu'il est, lui aussi, forcément mauvais.
Ainsi, il est le seul soldat à ne pas obéir aveuglément à Frollo, à contredire ses ordres tous plus idiots les uns que les autres. Dès le début du film, il déclare « On m'aurait fait revenir de guerre pour capturer des diseuses de bonne aventure ? » Il ne sait pas ce qu'il fait là, ne comprend pas la haine de Frollo envers un peuple qui ne lui a rien fait.
Ainsi, le personnage est celui qui ralliera les troupes civiles à la fin du film, dans une scène qui me colle toujours les frissons : « Citoyens de Paris ! Frollo a persécuté notre peuple, saccagé notre cité. Et maintenant, il déclare la guerre à Notre-Dame ! Allons-nous le laisser faire ? » Le personnage a l'occasion de combattre contre les soldats pour une cause qui lui paraît juste.
Comme j'ai grandi, je comprends maintenant pourquoi Esmeralda l'a choisi : Pheobus est le seul personnage qui désire Esmeralda sans faire parti du complexe de la Madonne et de la Putain. Il s'agit d'un complexe dans lequel les hommes voient en la femme soit une Putain, quand la personne est ouverte sexuellement, soit une Madonne, quand celle-ci est considérée comme pure. Par conséquent, et de manière beaucoup plus édulcoré et gentil dans le film, Quasimodo voit en Esmeralda un être saint, pur, qui lui vient en aide, un « ange » comme il le dit lui-même, alors que Frollo voit en Esmeralda un corps qui lui donne de l'envie, une sorcière qui l'attire. Phoebus est le seul a voir une femme forte, qui lui tiens tête, qui sait se débrouiller. Si, pendant le numéro de danse aguicheuse d'Esmeralda, il se rince l’œil (le « Vous voyez cet écœurant spectacle... » « Oh que oui ! » me fait toujours rire), il préfère faire connaissance avec elle avant d'essayer de renifler ses cheveux. Il lui demande son prénom, s'amuse avec elle, alors que Frollo se colle directement à lui et Quasimodo la traite comme une petite chose fragile.
Passons maintenant au personnage que le film dépeins le mieux : Frollo.
Frollo est un méchant Disney comme il se doit, mais pour moi il a un petit truc en plus. Il ne recherche pas le pouvoir, il l'a déjà : il recherche la pureté du monde. Il est l'incarnation des dérives sectaires, l'incarnation du racisme, du mâle blanc qui ne considère rien d'autre dans le monde. C'est un méchant Disney poussé au maximum, et le résultat est grandiose.
Pour son introduction, si en version française, la chanson les Cloches de Notre-Dame dit « Le juge Claude Frollo combat le vice et le péché / D'un monde corrompu et qui doit être purifié », en anglais il est dit « Le juge Claude Frollo a juré de purger le monde du vide et du péché, et il voyait la corruption partout excepté en lui ». En toute logique, la version originale est plus compréhensive, mais je la trouve beaucoup moins subtile : en français, on se dit que Frollo ne peut pas être bien méchant, s'il décide d'éradiquer les vices de ce monde. Puis on le voit tuer une femme pour lui prendre son enfant avant de vouloir noyer ce dernier et on comprend que le monde est corrompu à cause de personnes comme lui, ce qui fait écho à ce que dit Quasimodo à la fin du film « Toute ma vie vous m'avez répété que le monde est noir et cruel et méchant, maintenant je ne vois que des sales êtres noirs et cruels ici bas, ce sont les gens comme vous ! » Dans la version française, on est positionné comme Quasimodo, on croit que le monde a des problèmes et que Frollo aide, et on est confronté à une réalité tout autre. Je trouve qu'on approche plus subtilement le personnage avant de voir toutes les horreurs qu'il peut faire.
Et ces horreurs, parlons en ! Torture, meurtre, tentative de meurtre, corruption, pyromanie, et surtout, désir en la personne d'Esmeralda. Ce point là est le plus fort du film, à mon sens, parce qu'on en a eu des méchants qui pensaient remodeler le monde comme il le fallait, des méchants qui veulent le pouvoir, des méchants qui pensent faire le bien... mais alors des méchants qui désirent une femme, dans un dessin animé, ça ne court pas les rues... Prônant alors sa foi, il décide de traquer la jeune femme pour la tuer ou l'avoir à lui tout seul. Il pense faire ça pour le bien commun (en la cataloguant de sorcière), ainsi que pour son propre bien (puisqu'il déclare avoir une âme pure qui commence à être souillée par la vue de la jeune femme), mais malgré tout, il se rend compte que tout ce qu'il fait n'est que folie, et demande pitié à Dieu pour son âme et celle d'Esmeralda. Par conséquent, si le personnage incarne les dérives de la religion, il reste malgré tout particulièrement humain avec une légère empathie. C'est d'une étonnante et merveilleuse psychologie. Mais ses actions restent ignobles.
De même, prônant toujours la foi, il déclare vouloir chasser les gitans car ils bernent les âmes simples de la société, en « viv[ant ] en marge de l'ordre établi, leurs hérétiques pratiques raviv[ant] chez le peuple leurs plus vils instincts ». Pour lui, les gitans osent défier la loi, et par là même amènent le peuple simple et parfait de la société à faire de même. Mais évidemment, ce sont de bien gros mots pour tenter de trouver une justification à un simple racisme. Frollo haie les gitans car ils sont différents, les appelant « égyptiens », une insulte puisque ceux-ci venaient principalement d'Inde, n'hésitant pas à les arrêter sans aucun motif, les torture, et poursuit la mère de Quasimodo en pensant qu'elle possède des objets volés alors qu'il s'agit tout simplement d'un bébé. En bref, ici, la religion est l'excuse parfaite pour être raciste, et c'est malheureusement quelque chose d'encore couramment utilisé aujourd'hui, en tout cas pour les minorités, les personnes LGBTQ+ ou autre.
Venons en maintenant aux trois moutons noirs du film : les gargouilles.
Je sais que beaucoup ne les supportent pas et ne voient pas ce qu'elles apportent, mais alors que j'ai toujours eu du mal avec les acolytes des héros Disney, de Timon et Pumbaa à Meiko et Abu, les gargouilles ne m'ont jamais dérangées. Elles me font rire, elles symbolisent la cathédrale et la psychologie de Quasimodo.
En effet, dans le livre, le personnage principal est Notre-Dame. Hugo la personnifie, lui influe une palpitation, des mouvements imperceptibles, lui donne un souffle de vie que seul Quasimodo peut sentir. Il est plus difficile de retranscrire ça à l'écran et je pense que l'idée était de faire de la Rocaille, la Muraille et la Volière cette vision qu'Hugo avait de la cathédrale. Hommage raté ou non, l'idée est là. D'autant plus que la Cathédrale elle-même est parfois personnifiée, avec ses statues qui regardent Frollo de haut au début du film, et plus principalement à la fin. En effet, Quasimodo déverse de la lave par les gouttières, la lave étant de la roche en fusion, on pourrait presque croire qu'il s'agit de Notre-Dame qui saigne à vif. De même, Frollo chute à cause de la Cathédrale, qui s'est mise en mouvement telle une présence divine qui s'est elle-même octroyée le droit d’insuffler de la vie à cette pierre, pour envoyer Frollo en enfer.
D'autant plus que dans le roman, il y a une phrase qui démontre l'idée même que les gargouilles sont vivantes : « Les autres statues, celles des monstres et des démons, n'avaient pas de haine pour lui Quasimodo. Il leur ressemblait trop pour cela. Elles raillaient bien plutôt les autres hommes. Les saints étaient ses amis, et le bénissaient ; les monstres étaient ses amis, et le gardaient... » Les gargouilles sont les amis de Quasimodo, qui le gardent. Dans le films, ce sont ses amis qui l'encouragent, et qui personnifient ses idées : elles lui soufflent l'idée de partir incognito à la Fête des Fous pour s'amuser, l'encourage à sculpter une statuette d'Esmeralda pour montrer qu'il n'a qu'elle en tête, et l'encouragent à être un pianiste, un joueur, un riche, un croissant, un héros grecque, un Cupidon... pour lui dire qu'au final, peu importe qui il est, Esmeralda l'aimera. Leurs apparitions sont une véritable introspection dans l'esprit de Quasimodo, qui n'aurait pas été véritablement possible s'il était tout seul, à moins de le faire chanter à chaque fois.
Bref, pour moi elles ne sont pas du tout une gêne dans un film sombre, d'autant plus qu'elles ne quittent jamais la Cathédrale, ne parlent qu'à Quasimodo, et n'influent quasiment pas sur le scénario.

Maintenant passons à une autre qualité indéniable du film, qui m'a fait l'aimer tout de suite alors que je ne comprenais pas la moitié des choses : c'est un film sombre et complexe, comme on a peu l'habitude de voir dans les films d'animations.
Tout d'abord, si je dis que le film est complexe, ce n'est pas que dans ses messages, même s'il y a de ça. Comprendre que si Frollo haït les gitans c'est parce qu'il est raciste, s'il haït Esmeralda c'est parce qu'elle a insuffler en lui du désir et qu'il ne veut pas de ce désir, comprendre que tout le monde peut se moquer de Quasimodo à cause de son physique, comprendre que Pheobus n'est pas qu'un garde stupide, comprendre que les gargouilles ne sont pas juste là pour être drôle, et surtout comprendre le poids de toutes ces choses. Le poids qui pèse sur Quasimodo, qui a peur de sortir au vu de tout le monde, de désobéir à Frollo. Le poids tout simple de voir que Frollo met Paris à feu et à sang et de comprendre ce que ça signifie, qu'il ait pu tuer des innocents. Le poids qui pèse sur Esmeralda, qui se sent opprimée par un Frollo qui déteste les gitans, et cette guerre interne à Paris qui se livre dans le film.
Le film parvient à faire comprendre tout ça d'une très belle manière. Tout d'abord, avec la musique qui est sombre et pesante, avec ses notes d'orgues et de cloches, mais j'en reparlerais plus tard.
Ensuite, les dialogues qui, en français utilisent un langage soutenu et tombé en désuétude que je trouvais véritablement bizarre étant petite, et qui sonne doucement à mes oreilles aujourd'hui. Parmi mes phrases préférées, « Vous qui souillez par les armes et le sang le parvis de Notre-Dame », « Racontez vos mensonges à vos minions, qu'ils acclament la pureté de votre âme. Vous ne pourrez cacher vos coupables actions aux regards sains, aux purs regards de Notre-Dame », « Cet abject rebut de l'humanité, mélangé dans un chaos de stupre et d'alcool », « Tu dois fuir leur calomnie, leur intolérance », « Leurs cris qui résonnent jusqu'au cœur de Notre-Dame, font saigner les larmes au fond de mon âme. », « Vous prêchez la justice mais vous êtes cruel envers ceux qui ont besoin de votre aide ! », « Voyante et clairvoyante ! C'est typique de votre race d’altérer la vérité pour troubler les consciences avec des pensées impies », « Que son âme damnée soit purifiée par le fleuve », « Et il frappera les faibles, et les plongera au fond de l'infernal abysse ! ». Les phrases comme ça, ponctuée de mots que je m'amusais à rechercher dans le dictionnaire, sonnent presque comme un poème quand on entend le film, elles coulent doucement le long des oreilles et sont un enchantement à entendre, et encore plus à comprendre.
Une chose que je ressens, à cause du visuel, de l'ambiance sonore ou de la musique, c'est vraiment l'ambiance de certaines scènes. Ainsi, les cloches et le cœur du tout début du film, avec Notre Dame qui dépasse des nuages, nous fait presque miroiter un paradis, et on sent vraiment une sorte de grandeur. Vraiment l'entrée en matière, d'abord douce et subtile, puis tonitruante, nous montre tout de suite qu'on va avoir affaire à un grand film. De même, les bruits assourdis, l'ambiance presque cotonneuse et chaleureuse de la scène où Esmeralda chante dans la Cathédrale nous offre un réel abris, un asile, c'est impressionnant à quel point le rendu est comme dans une vraie cathédrale, avec certains bruits étouffés par la grandeur, d'autres se répercutant sur les murs...
Et c'est comme ça pour chaque endroit que l'on visite, comme les catacombes, la Cour des Miracles, le palais de justice, les abords de Paris... Je ne sais pas si c'est l'ambiance sonore qui est particulièrement bien faite mais on s'y croirait et c'est comme s'il y avait quelque chose de plus grand que nous, un dieu qui nous regarde de là-haut, et qu'on peut ressentir.
Enfin, quand je parle d'un film sombre, évidemment tous ces morts, ces tortures physiques et psychologiques ou ces enfermements, jouent dans le fait qu'il s'agit d'une histoire sombre, mais il n'y a pas que ça. Je pense que ce film a une manière très particulière de mettre en scène des moments forts. Encore une fois c'est très probablement du à la musique mais certaines scènes me laissent sans voix dans la façon crue qu'elles ont de montrer la violence.
Par exemple, quand Frollo tue la mère de Quasimodo et qu'il veut le noyer, on voit tout ça, ce n'est pas juste montré par une ombre ou quelque chose qui nous le fait deviner, on voit réellement la mère de Quasimodo chuter et mourir, c'est d'une violence extrêmement explicite.
De même, on m'aurait dit aujourd'hui qu'un Disney allait présenter une de ses héroïne sur un bûcher de sorcière, je n'y aurais pas cru, et pourtant, elle y est sur ce bûcher ! Outre le rappel à l'injustice de la chasse aux sorcières, c'est assez impressionnant de voir ces flammes et cette fumée entourer Esmeralda.
De même, Frollo est un personnage extrêmement sombre et le film le démontre à merveille. Pas seulement avec le meurtre de la mère de Quasimodo, mais son envie de trouver Esmeralda est véritablement ignoble, et c'est dépeint avec une Esmeralda qui vient de plonger pour sauver Phoebus et lutte contre un courant de rivière tandis que Frollo demande à la trouver, même s'il faut mettre Paris à feu et à sang. On sent véritablement la détresse de la jeune femme à ce moment là.
Il y a aussi les deux tentatives de meurtre de Frollo sur Quasimodo : la première, il est prêt à lui planter un couteau dans le dos, on voit l'ombre terrifiante de cette lame se refléter sur le mur (et, pour ceux qui ne savent pas, Quasimodo devait originellement mourir dans cette scène). De même, la vision de Frollo se levant de toute sa hauteur, face à une Esmeralda et un Quasimodo à bout de forces, riant de les voir dans cette position précaire et prêt à les frapper est véritablement terrifiante ! Chose plutôt rigolote, au moment où j'écris ça, j'ai revu le film pour la première fois en HD, et la colorimétrie est légèrement différente : les yeux et le sourire de Frollo sont plus clairs que le reste de son visage, lui donnant l'air d'un diable.
Il y a évidemment aussi la fameuse scène de Quasimodo, moqué, attaché, suppliant, qui est juste insoutenable. Plus jeune je n'osais pas la regarder tant je la trouvais atroce, et pourtant elle ne dépeins que ce que le monde peut offrir parfois aux personnes différentes, et ce qu'il en fait encore. Que ce soit les moqueries, les enfermements ou la suppression du libre-arbitre, pour des personnes neurodivergentes, atypiques, LGBTQ+, racisées, d'une autre culture, les humiliations ont toujours eu lieu et ont toujours lieu, ce qui donne à cette scène un message intemporel.

La phrase que je retiens, évidemment, est cette question « L'Homme est-il un monstre ou le monstre un Homme ? » Encore une fois, je remercie la version française, la version originale se contentant de dire « Qui est le monstre et qui est l'Homme ? » C'est beau, mais je trouve que ça manque de profondeur, alors que cette traduction nous pose une vraie question philosophique, aussi bien sur Quasimodo qui est un monstre avec un vrai cœur d'Homme et Frollo qui est un Homme avec un cœur de monstre, mais aussi dans notre vie, elle est l'exact même définition du fait qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Quelqu'un de beau que l'on rencontre peut être une personne immonde et vice-versa.
En bref, cette chanson est d'une beauté absolue, extrêmement forte et poignante, et elle n'a aucune homologue dans les autres films Disney. Le vieux français, les son des cloches, les parties en latin, rien à dire, tout est puissant et donne les frissons.
Il y a une chanson qui s'appelle Sanctuary. Elle ne fait pas parti des chansons proprement dites mais de la bande originale : c'est le passage en latin qui se joue durant la bataille finale.
Je la note comme chanson car, si le reste des paroles en latin du film sont issus pour la plupart de Dies irae, un des textes médiévaux chanté les plus connu au monde, cette partie là a été piochée parmi d'autres chants et ont une signification particulière :
Première partie, Frollo condamne Esmeralda à mort :
Judex crederis esse venturus / Le Juge viendra pour le jugement
In te, Domine, speravi / En toi, Seigneur, j'ai confiance
Non confundar in aeternum / Ne me laisse pas être damné pour l'éternité
Salvum fac populum tuum / Sauve ton peuple Seigneur
Judex crederis / En notre juge nous croyons
Cette partie là vient du Te Deum, un texte latin qui remercie Dieu. Il est principalement utilisé pour les victoires, les fêtes, les processions... J'ai l'impression que cette partie est presque ce que chante Frollo pour lui : il a eu Esmeralda, il pense qu'elle sera condamnée à aller en Enfer, il a donc confiance en Dieu pour la juger comme il se doit, et pense par la même sauver le peuple de cette « sorcière ». Il pense qu'il a fait le bon choix, et les paroles sont accompagnées de tambours, comme s'il célébrait sa victoire.
Deuxième partie, Esmeralda refuse les avances de Frollo, Quasimodo se libère de ses chaînes :
Kyrie Eleison / Seigneur aie pitié
[...]
Libera me Domine / Libère-moi Seigneur
Libera me Domine de morte aeterna / Libère-moi Seigneur de la mort éternelle
In die illa tremenda / De ce jour terrible
Quando caeli movendi sunt / Quand les cieux s'ouvriront
Caeli et terra / Les cieux et la terre
Dum veneris judicare / Quand Tu viendras juger le monde par le feu
Cette partie là provient de Libera Me, un texte qui constitue un adieu au défunt. Ici l'utilisation est intéressante puisque quand Quasimodo brise ses chaînes, on entend, en latin, « Libera me », comme s'il implorait Dieu de l'aider à se libérer. Le passage qui parle des cieux résonne en même temps que les cloches, comme si Dieu parlait. Et évidemment, le feu est celui du bûcher d'Esmeralda.
Le tout début, « Kyrie Eleison » est en revanche une formule très courante que l'on retrouve à beaucoup d'endroits de la bande-originale : elle demande pitié à Dieu. Il est intéressant de noter qu'elle se joue à l'exact moment où Esmeralda crache sur Frollo, comme si elle demandait pitié à Dieu avant l'approche de sa mort.
Troisième partie : Quasimodo libère Esmeralda :
O, salutaris hostia / Oh, Sauveur qui protège les victimes
Quae caeli pandis ostium / Qui ouvre la porte des cieux
Bella premunt hostilia / Nos ennemis nous assiègent
Da robur, fer auxilium / Donne-nous la force, apporte-nous le secours
Sit sempiterna gloria / Puisses Tu toujours être glorifié
Sit sempiterna gloria / Puisses Tu toujours être glorifié
Sit sempiterna gloria / Puisses Tu toujours être glorifié
Gloria, gloria semper / Gloire, gloire pour toujours
Sanctus, sanctus in excelsis / Saint, saint dans le ciel
Ici on a affaire à une partie du texte O salutaris hostia. Si le nom fait penser à l'hostie, le petit pain que l'on partage pendant les communions, c'est parce qu'en latin, l'hostie et Jésus Christ sont décrits de la même manière, puisque l'hostie est censée représenter le corps de Jésus.
Cette chanson voue la gloire à Jésus Christ, et il n'est pas difficile de comprendre qu'ici, Jésus est symbolisé par Quasimodo, et que les cieux, le Paradis, est symbolisé par la cathédrale, que Quasimodo ouvre à Esmeralda, et les ennemis sont bien évidemment l'armée et Frollo.
Une petite note intéressante, c'est quand le passage « sanctus, sanctus » se joue, il s'agit du moment où Quasimodo crie « Droit d'asile ! ». En anglais, ce passage se dit « Sanctuary », le sanctuaire, et c'est comme si toutes les voix, celles de Quasimodo et du cœur, se confondaient les unes avec les autres pour demander un sanctuaire sécurisé à Dieu.
Quatrième partie, attaque de Notre-Dame :
Mors stupibet et natura / La mort et la nature seront stupéfaites
Cum resurget creatura / Quand les Hommes resurgiront
Judicanti responsurra / Pour répondre au jugement
Judex ergo cum sedebit / Et donc, quand le Juge prendra sa place
Nul inultum remanebit / Rien en restera impuni
Quem patronum rogaturus / Quel protecteur pourrais-je implorer
Cum vix justus sit securus? / Quand l'homme juste est à peine sûr ?
Juste Judex ultionis / Juste Juge de ma vengeance
Ante diem rationis / Avant le jour
Kyrie Eleison / Seigneur aie pitié
On revient ici à Dies Irae pour l'attaque et la bataille de Notre-Dame. Les Hommes qui surgissent sont les paysans, qui viennent mener la guerre contre Frollo. Je suis particulièrement friande du passage « Quel protecteur pourrais-je implorer / Quand l'homme juste est à peine sûr ? » puisque l'on comprend tout de suite qu'il s'agit de Frollo, un juge, un homme censé être juste, et qui pourtant n'établit jamais la véritable justice. Ce passage là fait terriblement écho avec les injustices sociales du film, le moment où Esmeralda crie « Justice ! » et les moments où l'on voit Frollo abuser de son pouvoir. On comprend que si les créateurs du film ont changé Frollo, qui était prêtre, pour le faire devenir juge, ce n'était pas qu'un choix pour lui conférer plus de pouvoir : c'était pour que l'injustice de ses actes soit encore plus criante.
Venons en maintenant à la chanson que je classe parmi mes préférés des chansons Disney, sans doute en première place ; la chanson qui mêle parfaitement le latin et le français ; une des seules dont je préfère la traduction car je la trouve plus juste : Infernale.
Infernal est une chanson grandiose, très prenante, avec des paroles plutôt choquantes et un visuel magnifique. L'épitome de la chanson de méchant, pour moi on ne fera jamais mieux.
Déjà, penchons nous sur les quelques paroles en latin. Les premières, « Confiteor Deo Omnipotenti / Beatae Mariae semper Virgini / Beato Michaeli archangelo / Sanctis apostolis omnibus sanctis », chantées par les prêtes, sont une prière courante, le Confiteor. Il s'agit d'une prière que l'on chante pour confesser ses péchés et demander pardon, à la manière de Frollo. Ici, Frollo s'y expose à Michael, archange de la lumière, et à Marie, la mère de Dieu. Si Michael symbolise ici Dieu (puisque son nom signifie « qui est comme Dieu »), Marie est plutôt symbolisée, je pense, par Notre-Dame, personnage de notre histoire.
Ensuite, juste après les phrases « Mon cœur a bien plus de droiture / Qu'une commune vulgaire foule de traîne-misère » on entend « Quia peccavi nimis », qui signifie « Que j'ai pêché ». La voix latine moque presque Frollo, lui rappelant que s'il se croit droit, il a, en effet, pêché, ce que le Juge va chanter juste après.
Après la phrase « Ses yeux de feu m'embrasent et me hantent », on peut entendre « Cogitatione », qui veut dire « En pensées », rappelant encore une fois à Frollo et au spectateur qui comprend le latin que le pêché que Frollo a commis, pour le moment, n'a pas dépassé sa simple pensée. Ce n'est plus le cas puisque, quand Frollo continue et parle des cheveux d'Esmeralda qui le hante, les voix reprennent et disent « Verbo et opere », « En mots et en actes » : Frollo est en train d'exprimer son souhait, avant de sortir le foulard de la gitane et de se frotter le visage avec, montrant qu'il est en train de s'enfoncer dans son pêché, que ce dernier dépasse maintenant la simple pensée.
Plus loin dans la chanson, quand Frollo court en s'insurgeant, répétant que ce n'est pas de sa faute, les voix disent « Mea culpa », « Ma faute » (et même à un moment « Mea mawima culpa », « Ma plus grande faute »), pour refléter le fait que si, c'est bien la faute de Frollo s'il ne peut contrôler son désir. Beaucoup voient dans ces prêtres encapuchonnés la conscience de Frollo, comme s'il savait qu'il faisait quelque chose de mal, alors que pour moi, depuis que j'ai vu la première fois le film (à 10 ans donc, le jugement étant possiblement biaisé), je voyais Frollo comme un c*n fini de la pire espèce, et ces prêtres encapuchonnés symbolisaient des suppôts de Satan venant narguer Frollo. Je ne voulais pas, et ne veut toujours pas, expliquer que Frollo sait qu'il fait quelque chose de mal mais le fait quand même, car c'est quelque chose qui, aujourd'hui encore, est utilisé pour se prévaloir d'un viol. Pour moi Frollo est un idiot fini qui n'avait qu'à se contrôler.
Enfin, la chanson finit la encore avec des « Kyrie Eleison », au moment où Frollo demande pitié pour Esmeralda, et pour lui.
Je veux maintenant me pencher sur la traduction. Très souvent, j'utilise la chanson en anglais, la traduit moi-même et montre pourquoi la version française ne fonctionne pas. Ici, je veux montrer pourquoi elle fonctionne parfaitement et est même parfois supérieure.

Version originale
Version originale traduite
Version française
Beata Maria,
Beata Maria,
Beata Maria,
You know I am a righteous man
Tu sais que je suis un homme droit
Je clame que mon âme est pure
Of my virtue I am justly proud
De ma vertu j'ai droit d'être fier
De ma vertu j'ai droit d'être fier
Déjà, rien qu'au début, je suis assez étonnée par la qualifié de la traduction. En effet, si en anglais, Frollo déclare à Marie qu'elle sait déjà qu'il est droit et pur, en français, il ose même le clamer, le revendiquer, le dire tout haut, ce qui accentue encore plus son orgueil.

Beata Maria,
Beata Maria,
Beata Maria,
You know I'm so much purer than
Tu sais que je suis plus pur
Mon cœur a bien plus de droiture
The common, vulgar, weak, licentious crowd
Qu'une commune, vulgaire, faible, licencieuse foule
Qu'une commune vulgaire foule de traîne-misère
Then tell me, Maria
Alors dit moi, Maria
Mais pourquoi, Maria
Why I see her dancing there
Pourquoi je la vois danser
Quand elle danse l'insolente
Ici c'est gratuit, Frollo dit qu'Esmeralda est insolente parce qu'elle danse. Petit point pour la version originale, une foule « licencieuse » est une foule qui manque de pudeur.

Why her smoldering eyes still scorch my soul
Pourquoi ses yeux de braise me brûle l’âme
Ses yeux de feu m'embrasent et me hantent
I feel her, I see her
Je la sens, je la vois
Quelle brûlure, quelle torture
Plus fort que de voir et ressentir Esmeralda comme une flamme, sa simple présence est une brûlure et une torture pour Frollo, ce qui est, à mon sens, une idée beaucoup plus forte qui nous fait vraiment ressentir l'envie sexuelle de l'antagoniste.

The sun caught in her raven hair
La soleil pris dans ses cheveux de corneille
Les flammes de sa chevelure
Is blazing in me out of all control
M'illumine et me fait perdre le contrôle
Dévorent mon corps d'obscènes flétrissures
De même ici, alors que le soleil qui illumine les cheveux me fait bizarrement penser au soleil de Dieu, et je ne vois pas ce qu'il vient faire ici, en français, les cheveux d'Esmeralda deviennent de vraies flammes qui dévorent le corps de Frollo. La métaphore filée du feu est très puissante et parfaitement gérée, en plus de faire écho à la scène dans le film, où Esmeralda apparaît comme une silhouette dans le feu.
Et un point de plus pour la version française, où les rides et la vieillesse de Frollo deviennent des idées obscènes, c'est d'un ordre d'idée brutal et direct.

Like fire
Comme le feu
Infernale
Hellfire
Le feu de l'enfer
Bacchanale
This fire in my skin
Ce feu dans ma peau
L'Enfer noircît ma chair
This burning
Ce brûlant
Du pêché,
Desire
Désir
de désir
Is turning me to sin
Me pousse au péché.
Le Ciel doit me punir.
Les bacchanales étaient des fêtes romaines dédiées à Bacchus, le dieu du vin. Mot quasiment impossible à comprendre sans en chercher le sens, il symbolise les orgies et la débauche. Alors qu'en anglais, Frollo compare Esmeralda au feu de l'Enfer, un feu d'envie qui le pousse à pêcher, en français les idées sont plus nombreuses : il voit en Esmeralda une infernale orgie, envoyée par l'Enfer, et reprenant la métaphore du feu, cet Enfer noircit sa chair, le brûle donc, avec le péché du désir, et il demande à Dieu de le punir. C'est une notion qui n'existe pas clairement en version originale et qui prend tout son sens quand on voit que Frollo essaye de pardonner sa faute. Ses prières sont presque exaucées quand le soldat vient lui dire qu'Esmeralda a disparu : son salut est là, il n'a qu'à abandonner, et pourtant il décide de brûler tout Paris plutôt.

It's not my fault
Ce n'est pas ma faute
Est-ce ma faute ?
I'm not to blame
Je ne suis pas à blâmer
Pourquoi ce blâme ?
It is the gypsy girl
C'est la gitane
C'est cette sorcière gitane
The witch who set this flame
La sorcière qui m'a envoyé cette flamme
Par qui mon cœur s'enflamme !
Alors qu'en anglais, Frollo dit clairement que ce n'est pas de sa faute, je préfère la version française où il en est presque, presque, a mettre en doute la parole de Dieu. Il n'y est pas complètement mais on sent encore une fois que la balance penche, c'est plus subtil.

It's not my fault
Ce n'est pas ma faute
Est-ce ma faute
If in God's plan
Si dans les plans de Dieu
Si notre Père
He made the devil so much stronger than a man
Il a fait le Diable plus fort qu'un homme
A fait les hommes moins puissants que Lucifer
Ici j'ai ma grosse préférence pour la version française où Frollo inclut tous les hommes avec lui. Tous les hommes qui ont désiré une femme parce qu'ils sont moins puissants que le diable. Il inclut même Dieu avec lui, ne l'appelant pas Dieu mais Père, faisant de lui un homme comme les autres, avec des envies. C'est blasphématoire, très profond, et très humain.

Protect me, Maria
Protège moi, Maria
Par pitié, Maria
Don't let the siren cast her spell
Ne laisse pas la sirène chanter son sortilège
Protège-moi du mauvais sort
Don't let her fire sear my flesh and bone
Ne laisse pas son feu prendre ma chair et mes os
De cette fleur du mal, et de son corps
Alors qu'en anglais Frollo compare Esmeralda à une sirène et son chant mélodieux, en français la comparaison est beaucoup plus subtil : les Fleurs du Mal sont un recueil de poème de Charles Baudelaire qui ne possèdent pas des idées disparates mais des idées réfléchies et articulées : le dégoût du mal et de soit même, la souffrance des hommes à cause du Péché originel et donc la demande de pardon, et l’obsession de la mort. La chanson Infernale parle de Frollo se dégouttant lui-même avec ses « flétrissures » et son désir sexuel avec une femme gitane, peuple qu'il méprise, parle de la souffrance que possèdent les hommes, causée par Lucifer, tel le premier Péché causé par le Serpent, et parle de son envie de tuer Esmeralda. En bref, Infernale se rapproche beaucoup des Fleurs du Mal, et les traducteurs ont fait une magnifique comparaison.

Destroy Esmeralda
Détruit Esmeralda
Détruit Esmeralda
And let her taste the fires of Hell!
Et fait lui goûter aux feux de l'Enfer !
Qu'un rideau de feu soit son linceul
Or else let her be mine and mine alone
Ou bien fait qu'elle soit à moi et à moi seul.
Ou fait qu'elle soit à moi, et à moi seul
Si j'aime bien la version originale où Frollo déclare presque avec envie qu'il veut qu'Esmeralda, tout comme lui, goûte aux feux de l'Enfer, j'aime beaucoup la métaphore française où son linceul, le voile de la mort, sera fait de feu.

Hellfire
Le feu de l'enfer
Infernal
Dark fire
Ce feu sombre
Bacchanale
Now gypsy, it's your turn
Maintenant, gitane, c'est ton tour
Diabolique sorcière
Choose me or
Choisis moi
Sois mienne ou
Your pyre
Ou ton bûcher
Ma passion
Be mine or you will burn
Soit à moi ou tu brûleras.
Te mènera en Enfer.
Encore une fois, alors qu'en anglais Frollo veut vraiment qu'Esmeralda subisse la même chose que lui, subisse une torture, il décline vraiment les deux options qu'il lui redira plus tard : soit lui, soit le feu. En français, les deux notions se mélangent lorsqu'il déclare que sa passion, donc lui, mènera Esmeralda en Enfer, donc au bûcher. On dirait qu'il ne sait plus vraiment ce qu'il veut faire d'elle.

God have mercy on her
Seigneur aie pitié d'elle
Seigneur, pitié pour elle
God have mercy on me
Seigneur aie pitié de moi
Seigneur, pitié pour moi
But she will be mine
Mais elle sera à moi
Fait qu'elle s'offre à moi
Or she will burn!
Ou elle brûlera !
Ou elle brûlera !
Très petite variation ici, mais alors qu'en anglais, Dieu n'a rien à voir avec la finalité d'Esmeralda, en français Frollo demande à Dieu de lui offrir Esmeralda, comme s'il avait définitivement basculé dans la folie en ne sachant plus ce qui est bien ou mal, en incluant Dieu qui est censé être amour dans sa folie de désir sexuel. Ce qui fait qu'encore une fois, je préfère la version que l'on a pu délivrer de cette chanson.
En bref, cette chanson est une pure merveille. Puissante, elle paraît presque irréelle. Si je ne comprenais qu'à demi-mots, j'ai ce souvenir précis plus jeune, de faire mon intéressante et de la chanter pour qu'on me demande ce que c'était et que je puisse expliquer qu'il s'agissait d'une chanson intense et prenante. En grandissant j'ai mieux compris ses paroles et ses sous-entendus, ce qui a fait que je l'ai encore plus aimée. Elle est chantée par un personnage ignoble et dépeint un problème de société, le machisme, qui sévi encore énormément de nos jours. Côté scénographie, elle est d'une surpuissance étonnante, puisqu'il n'y a quasiment pas de décors, seulement une cheminée, des flammes, de la fumée, mais surtout ces prêtres et ces silhouettes qui portent une croix à la fin. Moi qui n'ait jamais réellement apprécié les chansons de méchant Disney, celle-ci est l'exception qui confirme la règle.

La critique de la politique est présente, pas avec un Roi qui donne de sales ordres mais avec un Frollo qui passe de prêtre à juge pour lui conférer plus de pouvoir. Ses scènes où l'on peut entendre les notes de Dies Irae sont d'une grande ironie puisque, si le texte appelle au Juge d'être ce qu'il doit être, impartial mais juste, c'est tout le contraire de Frollo qui devient un personnage ignoble au possible.
Les débordements de la religion sont encore bien présent, avec un Frollo qui pense que tuer Esmeralda fera taire son désir, alors qu'il sera tout autant coupable qu'avant est presque ironique.
La notion de fatalité est peut être moindre, mais le côté positif fait qu'on ressort moins vidé du film. Dans le livre, Quasimodo est moche et donc fait peur à Esmeralda. Esmeralda est jeune et naïve et se fait duper par le bellâtre Phoebus. Frollo accueille avec joie Quasimodo, mais cède à la tentation d'Esmeralda. A la fin, Quasimodo tue Frollo, Frollo tue Esmeralda, Quasimodo meurt sur le corps d'Esmeralda et Phoebus se marrie. La fatalité fait qu'on ne peut rien faire face à ce qui nous tombe dessus. Dans le film, Quasimodo ne gagne pas Esmeralda car il ne l'a jamais vraiment désirée : elle a juste été la première personne à se montrer véritablement gentille avec lui. Esmeralda est forte et se bat pour la justice. Frollo est un sombre méchant qui a un complexe de Dieu et se croit au dessus de tout le monde. Phoebus est moins idiot qu'il n'en a l'air. Tous se battent contre la fatalité, et pourtant, pour le spectateur, elle existe : il y aura toujours des minorités chassées, des injustices, des débordements, des guerres. Le film est une pointe de positif dans une mer de négatif.
Enfin, la répression des minorités est tout aussi présente. Si le film ne termine pas avec un génocide de gitans et avec la mort de Clopin, toute l'injustice de Frollo et du racisme qu'il démontre envers les gitans feront comprendre à tout le monde que réprimer quelqu'un à cause d'une différence d'ethnie, ce n'est pas bien, et le film le fera aussi bien que le roman. De même, en donnant à Quasimodo un cœur d'or, en le montrant triste d'être enfermé dans sa tour et en montrant que Frollo a raison sur un point : que le monde est cruel envers ceux qui sont différent, on comprend encore mieux la critique sur les minorités, encore mieux que dans le roman de Victor Hugo.
A la fin du film, quand Esmeralda, face caméra, tend la main à Quasimodo, et à nous par la même occasion, elle nous tend la main et nous demande si on est prêt à changer notre point de vue sur le monde, comme Quasimodo. Et comme lui, on est prêt. Et tel cette petite fille, le monde aura toujours cette petite pointe d'espoir.
J'ai l'impression d'en avoir peu dit sur la façon dont j'aime le film. Son côté sombre et dramatique le rendent très terre à terre et réaliste, les chansons sont puissantes et sont un bonheur pour les oreilles, ses messages sont intemporels, Phoebus est un bellâtre intelligent, Esmeralda est une femme forte, Quasimodo un personnage doux, et Frollo est un des meilleurs méchant dépeint au cinéma, avec sa froide haine et ses pensées ignobles. Le tout est magnifique, puissant, renversant et même si je commence à aimer de plus en plus les Disney, jamais celui-ci ne sera détrôné de son piédestal tellement il est unique en son genre. Qu'on ne vienne pas me redire que j'ai gâché mon enfance à adorer ce film, car même si je ne comprenais pas tous les enjeux, j'ai été touchée d'abord par sa puissance avant d'être touchée par ses messages, et ça, c'est peu commun.

Miellez
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le 12 déc. 2022

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Miellez

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