Pari fou et perdu d'avance que de vouloir présenter à la fois une perspective historique du capitalisme (depuis le XVIIe) et les évolutions contemporaines des rapports capital / travail en... 1h45.

À aucun moment le film ne prend le temps de définir précisément le concept même de capital. Ainsi on ne sait pas toujours de quoi il est véritablement question : de patrimoine, d'argent, de pouvoir, de financiarisation, d'inégalités, (et même de possession des moyens de production, soyons fous !) En réalité d'un peu tout ça, et c'est bien le problème, lié d'emblée à cette mauvaise définition conceptuelle et à une volonté d'embrasser des thématiques trop nombreuses et mal organisées.

Alors ça part dans tous les sens. La première heure est extrêmement pénible à suivre tant le documentaire est mal construit. Le montage clipesque nous trimballe du XVIIe au XXe siècle avec une rapidité déconcertante et au prix de raccourcis et d'impasses impardonnables (combien de secondes sur les révolutions ? Ou sur cet allemand barbu, comment c'était son nom déjà ? Ah oui, Marx ! ) On veut tout aborder, et on survole. On omet.

Les interviews "d'experts" sont lapidaires, ultra condensées, et on ne laisse jamais un propos se développer. La saturation d'images (et de musique) sacrifie la réflexion des intervenants et la nôtre.

Des chevaux au galop (au ralenti), des paysages de cartes postales (au ralenti aussi) , des paysages urbains (ah, en accéléré...), des extraits de films, des images d'archives...

À une heure et quinze minutes de film, on n'a encore quasiment pas entendu parler du capital au XXIe siècle... Et on ne nous en dira rien de neuf : les inégalités augmentent, les GAFA ne paient pas leurs impôts, les banques se sont renflouées après la crise de 2008, le post-capitalisme et ses robots, c'est pour bientôt.

Ultime déception : les solutions permettant de diminuer les inégalités (même ça, rien que ça...) sont à peine abordées. Un impôt progressif sur le capital : Ah, oui, il va nous falloir un peu plus que ça pour éviter la catastrophe écologique qui se profile. Dans mon souvenir, le film n'aborde même pas la destruction environnementale que provoque le capitalisme. La propriété pour tous ? Ah, oui, comme si les problèmes que pose le capitalisme ne se résumaient qu' à une question d'accès à la propriété, de négociation avec les possédants pour obtenir chacun sa part. Comment se réapproprier et réorienter les moyens de production (encore des gros mots) ? Voilà peut-être la seule vraie question. Et que dire de l'impossibilité même d'entamer un bras de fer avec le capital ? Jusqu'à preuve du contraire, les gouvernements qui ont tenté d'inverser la vapeur se sont retrouvés, illico presto, dans une impasse.

Jamais le capitalisme n'est envisagé comme un système essentiellement inégalitaire, basé sur l'exploitation des travailleurs. On comprend pourquoi. Le principe même d'une réduction des inégalités dans le capitalisme apparaîtrait pour ce qu'il est : un pansement sur une jambe de bois.
Plusieurs fois, les experts du documentaire nous signalent que la part versée aux actionnaires augmente, tandis que celle qui revient aux salariés décroît. N'y avait-t-il pas là matière à creuser ? S'interroger sur le rôle des gouvernements dans cette affaire ?
Visiblement non. Plutôt que de penser la fin d'un système qui engendre des inégalités, pensons la réduction des inégalités. Pour les rendre acceptables ?
L'abolition du capitalisme serait donc trop demandée. Piketty nous suggère, logiquement, son "dépassement", sans même prendre la peine (ou le temps?) de nous expliquer ce qu'il entend par là.

MonsieurPoiron
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le 1 juil. 2020

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MonsieurPoiron

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