Le revirement de Clint Eastwood sur la suprématie américaine a donné un coup, là où l’humanité n’est plus une source d’espoir, mais bien une victime d’une structure méfiante et immorale. Depuis “American Sniper”, nous le sentions engager dans le portrait d’un héros moderne. Ce dernier est toujours traumatisé, puis sévèrement remis en question comme dans “Sully”. Vient alors l’incompris “Le 15h17 pour Paris”, explorant le concept du citoyen ordinaire et voué à une destinée héroïque selon son parcours. Et en prélude d’un procès médiatique, “La Mule” qui offrait la rédemption à un réalisateur et un père engagé pour sa famille. Le héros a mille visages, comme l’explique brillamment Joseph Campbell, mais celui de notre époque est désarmé face à l’opinion publique et au harcèlement médiatique, de quoi faire écho aux outils technologiques que l’on détourne en détruisant des vies. Les bonnes intentions et l’humanité à l’état pur sont remises en cause par la seule force de l’influence, que l’on dénonce avec vigueur et étonnamment avec humour.


Pas question de reprendre une forme documentaire, on se place dans l’ombre de Richard Jewell (Paul Walter Hauser), modèle idéal de l’Américain moyen, un peu obèse sur les bords, aux grandes ambitions, à grande sensibilité, qui vit chez sa mère et qui ne développe pas forcément les meilleures relations pour s’intégrer. Les premières minutes nous dévoilent un CV moral des plus attractifs, car loin de ce que l’on peut engloutir à longueur de journée dans des réalisations qui caricaturent trop leur sujet. Ici, le jeune Jewell respire la solidarité et fait attention à son entourage, dégageant ainsi un parfum d’impartialité, mais surtout d’humanité. Et la vivacité du cinéaste nous emmène donc ce martyr en devenir, car tous ces éléments vont être mis en déroute, malgré l’acte héroïque ou simplement fait d’armes accompli sous le blason de son métier de sécurité. Et c’est en suggérant peu à peu un portrait grossier de l’individu que le film oscille entre la bonne fortune et le manque de justesse dans la mise en scène.


La vérité déchire comme elle peut guérir, mais cette formule de s’applique pas toujours, dès lors que l’on recherche à tout prix à servir de la viande au bûcher médiatique. Le contexte est généralement survolé et on se concentre sur les conséquences locales du drame qui frappe Jewell, accusé du pire. Les enjeux des Jeux olympiques sont donc passés sous silence, mais il faut savoir se glisser sous la peau d’un Américain pour comprendre que la peur peut vite contredire les bonnes paroles. La naïveté et l’intuition de Richard servent ainsi le contre-pied parfait pour nous méfier du personnage, qui se révèle peu à peu être une sous-caricature d’un mode de vie qui se retourne contre lui. Mais sa sagesse lui donne de fabuleux alliés, dont sa mère Bobi (Kathy Bates) et Watson Bryant (Sam Rockwell), l’avocat de l’humanité. Nous avons donc à faire à un ensemble de symbole, mais dans la presse ou les unités fédérales, il existe un aspect repoussant et sans doute controversé, par l’épaisseur des choix scénaristiques. Et c’est pourtant de là qu’émerge l’humour qui fonctionne presque par mégarde, car il est souhaité, notamment depuis le long-métrage précédent. Ce n’est pas du relâchement, mais du génie égaré, car le ton opposé étouffe souvent les émotions attendues.


Ainsi, sous la cape du héros, il y a un martyr et “Richard Jewell” répond aux attentes d’un modèle héroïque Eastwoodien. Son parcours explore la manipulation médiatique et ses conséquences dans la vie d’un homme bon, même trop bon pour son pays qui le rejette, à la même échelle qu’une structure géante qui domine l’individu, qu’il soit innocent ou non. Malgré tout, l’empathie nous saisit et nous fait prendre du recul sur l’accusé, dont le mode de vie est discutable. Et ce sont ces éléments, que l’on découvre dans une narration classique, qui repoussent l’audience et le procès juridique d’un homme attentionné et frustré. Ce qui est dommage, c’est que la conclusion sur les attaques médiatiques ne trouve pas d’ouverture ou de clôture plus pertinente que des larmes, car il s’agit soulager une âme brisée et de recoudre une cicatrice que l’on ne peut oublier et qu’on sacrifie l’émotion au détriment des discours politiques incessants.

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le 21 févr. 2020

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