Avec Le Cas Richard Jewell, Clint Eastwood brosse de nouveau le portrait du héros ordinaire, du mythe américain, qui se voit confronté à la violence des institutions de son pays. Un pays états-unien qui a cette capacité d’ériger les héros aussi vite qu’il ne les descend en flèche et détruit leur vie par la même occasion.


C’est ce qui est arrivé à Richard Jewell, membre se chargeant de la sécurité d’un événement festif lors des JO d’Atlanta, qui découvrit une bombe et sauva de ce fait de nombreuses vies. Cependant il sera soupçonné d’être le déposeur de ladite bombe. Après une première partie qui nous montre le personnage et sa manière de penser, abrupte, endimanchée et éloignée de l’aura idyllique et de l’imagerie collective qui circulent autour de la figure du héros, pour par la suite nous faire vivre le drame du point de vue de Richard Jewell, Clint Eastwood va s’interroger sur la tempête médiatique et fédérale qui va s’abattre sur lui et sa mère.


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Le cinéaste américain nous concocte la même recette qu’il exploite depuis maintenant de nombreux films, allant de J. Edgar à Sully jusqu’à The Mule, où son récit bascule entre deux versants : le portrait humaniste d’un homme et le portrait acide voire cynique d’un environnement soit sociétal soit institutionnel. Les deux se superposent mais pourtant n’ont pas la même candeur ni la même justesse dans la représentation et c’est bizarrement, ce qui fait que Le Cas Richard Jewell étonne voire questionne. Doté d’une mise en scène limpide et qui coule de source comme à son habitude, s’appuyant sur certains détails du quotidien, quitte à être parfois descriptive ou naturaliste, le long métrage est une étude assez pertinente et passionnante sur l’effet de meute, les mœurs brulantes de notre époque et surtout la question du profil.


Durant presque toute la durée du film, le cinéaste joue habilement avec cette notion de distanciation, entre la morale et l’absurdité de la situation (les armes), sur la promiscuité entre le fait divers réel et la fiction qui nous est donnée (le réel Richard Jewell qui passe à la télé) et ne cesse de confronter son personnage, ambigu, nourri par les valeurs policières et qui n’a aucunement l’apparence du héros, avec ce qu’on lui reproche. Bien évidemment, il ne ressemble en rien au Captain America des Marvel ni aux trois américains, gendres idéaux, de Le 15h17 pour Paris. Ventripotent, attitude de cowboy, vivant seul chez sa mère, aimant les armes, qui veut à tout prix qu’on comprenne qu’il n’est pas gay, ayant été renvoyé de nombreux postes de travail pour usage de la force sans que cela ne lui soit permis, aimant l’ordre, voulant qu’on le distingue à sa juste valeur, il a le profil typique du poseur de bombe selon deux instituons qui vont faire de sa vie un enfer et qui ne vont se baser sur aucune preuve tangible : les médias et la bureaucratie fédérale.


Deux univers représentés sans fioritures, avec virulence, par les bureaucrates opportunistes, manipulateurs et déconnectés de la portée noble et non vengeresse de leur mission (l’agent Shaw) et par les journalistes ou des éditeurs vus comme des vautours assoiffés de sang, des zombies en mal de scoops (comme les zombies de Romero qui s’agglutinent autour de la maison des Jewell) ou des femmes prêtes à donner leur corps pour une information. D’ailleurs, ce dernier prête à confusion tant le portrait presque christique de la journaliste Kathy Scruggs – la femme qui vend son âme et son corps pour après, faire amende honorable et comprendre ses péchés par le discours « prédicateur » de l’avocat lors de la conférence de presse – semble moyenâgeux, sans parler du fait que la journaliste est souvent réduite à ses tenues et sa manière « offensante » de se comporter.


Cette manière de procéder est interprétative, accentue l’incompréhension autour de la qualité diverse de traitement des personnages mais dénote d’un film un peu rance (cela devient habituel chez Eastwood) et qui tire à balles réelles, sans envie de faire dans la subtilité ni la complexité, sur deux institutions dont la morale, selon Clint Eastwood, semble nuire à son pays. En pleine période où les « fake news » deviennent un enjeu politique aux USA, il est impossible de ne pas faire corréler certains aspects du film à son actuel président et la fibre politique du cinéaste. Pourtant, il serait dommageable d’affaiblir la dimension humaniste du long métrage.


Dans une société sensationnaliste comme la nôtre, qui a besoin de héros ou de coupables médiatiques, où l’identification communautaire est devenue primordiale, il est parfois difficile de déceler la preuve de l’erreur, du faux du vrai, de la réalité de la fiction. Même si l’avocat de Richard Jewell, par pur effet de communication, dira à la presse que le FBI se doit de n’éviter aucune piste, même celle menant à son client, c’est toute la vigueur de l’œil aiguisé et salvateur de Clint Eastwood qui rentre alors en jeu : son film est un réel plaidoyer pour la véracité, le droit à la défense de chacun, où la figure du héros qui peut se cacher en n’importe qui et la prise de recul sur notre morale revendicatrice qui empeste l’urgence de l’information, l’instrumentalisation des plus faibles et l’obtention de sanctions à la mauvaise gloire de la collectivité.


Article original sur LeMagduciné

Velvetman
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le 24 févr. 2020

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