Avec The Mule, sortie début 2019, Clint Eastwood revenait devant sa propre caméra après onze années de retrait, mettant ainsi en stand by sa période des héros de l’Amérique.
C'est avec son trente huitième long métrage qu'il reprendra ce chemin. Le chemin de la justice, de l'honneur, et de l'hommage.


Un temps entre les mains compétentes d'un certain Paul Greengrass, Richard Jewell finira par être abordé par Eastwood, qui n'était sûrement que le mieux placé pour ce projet.
Lui qui aime tant rendre aux gens ce qu'ils méritent, qui n'a pas de cœur pour l'injustice et l'immoralité. Lui qui questionne sans cesse son pays, ses habitants, ses dirigeants et j'en passe. Lui, le soi-disant réactionnaire...


Après un triptyque posant la question de "qu'est-ce qu'un héros ?", Eastwood y trouve peut être une réponse avec ce nouveau grand film. Un héros, c'est quelqu'un d'ordinaire qui fait tout pour les autres, qui veut faire avancer les choses ou les rendre plus justes, plus sécurisées, sans se mettre en avant.
L'homme lambda qui fait le bien autour de lui sans rien attendre en retour est un héros. Richard Jewell, nounours naïf et dépasse bornes, faisant tout pour que les choses soient justes, même s'il doit pour cela franchir certaines limites, est un héros.
American Sniper, un tueur peut-il être un héros ?
Sully, un héros doit-il payer le prix de son héroïsme ?
Le 15h17 pour Paris, des personnes normales ne peuvent-elles pas être des héros ?
Richard Jewell reprend certes le chemin, comme ces trois œuvres, du héros, tout en se rapprochant dans l'idée de Sully. L'homme, le héros, face à l'injustice. Le héros transformé en coupable.
Si Chris Kyle est un héros américain, c'est pour avoir combattu pour son pays, défendable donc.
Si le commandant Chesley Sullenberger a gardé son statut de héros après l'enquête qui l'accusait, c'est grâce au soutien des passagers et des familles, pointant du doigt un procès bidon.
Si les trois jeunes hommes qui ont sauvé les passagers du Thalys sont des héros, c'est parce que leur courage a était exposé et soutenu de manière sensée et immédiate.
Le "soutien", c'est le maître mot pour ces histoires. Seulement, Richard Jewell dans tout ça. Il est seul, avec sa pauvre maman et son avocat, passant de héros à suspect en quelques semaines, sans défense, sans soutien public. Le sauveur transformé en monstre. Broyé par la machine, le système, les pourris.
Jewell est le plus grand héros de ces quatre histoires car il n'a pas tué par ordre de son pays, ni sauvé sa vie et au passage celle des autres.
Richard Jewell a tout donné aux autres, exécutant son travail avec certes, grandes largeurs, mais minutie. Sauvant ainsi par ses valeurs, des vies humaines.


Je ne sais pas si Eastwood continuera sur sa lancée ou s'il en a fini avec le thème du héros Américain, mais ce qui est sûr, c'est qu'il l'a creusé comme il le pouvait, le questionnant, comme lui rendant un vibrant hommage.


Si je pensais que le film allait suivre les pas de Sully, prenant l'histoire en plein boom et revenant en arrière à plusieurs reprises pour combler le puzzle, il n'en est rien.
Richard Jewell se suit chronologiquement, prenant ainsi le temps qu'il faut pour tout mettre en place et laisser les sentiments, les sensations, s'exprimer.
Ainsi la scène de la fameuse soirée du 27 juillet 1996 est tendue au possible. Celle de la mère comprenant que son fils est suspect est dévastatrice, tout comme celle où elle demande qu'on arrête de salir le nom de son fils. Celle où l'appartement est honteusement perquisitionné est fabuleusement pitoyable. Puis celle où Jewell se lâche en sortant un monologue puissant aux agents du FBI est incroyable, tout simplement. Comment en quelques mots un homme simple décrit la lâcheté et la gangrène d'un gouvernement, d'un pays. J'en passe.


Un film d'Eastwood est forcément un film émotionnel. J'en ai eu les larmes, une fois de plus. Comment résister à la formalité émotionnelle ? A la musique ? Toujours aussi épurée et belle. Au casting bouleversant ?
L'histoire est traitée du point de vue évident de Richard Jewell, et de son avocat Watson Bryant. N'ayant jamais peur de miser sur des petits nouveaux, voire même des inconnus parfois, Eastwood offre le rôle de Richard Jewell à Paul Walter Hauser, qui l'incarne magnifiquement. Inutile de dire qu'il vient de se creuser une belle place dans le paysage hollywoodien. Choisit pour sa ressemblance proche du véritable Jewell, il lui rend parfaitement honneur, au point d'en retourner d'émotion la mère du vrai Richard, Bobi.
Watson Bryant, l'avocat, est quant à lui confié au délicieux Sam Rockwell, aussi puissant qu'amusant. Un sacré personnage. Le deuxième à avoir cru en Jewell.
Quand je pense que ces deux personnages auraient du être interprétés par Leonardo DiCaprio et Jonah Hill, je me dit que ça n'aurait jamais aussi bien collé avec eux. Ils restent pour autant producteurs du film.
Pour Bobi Jewell, c'est à un autre grand nom qu'on confie le rôle, celui de Kathy Bates. Mes larmes sont suffisantes pour témoigner de sa justesse et du torrent d'émotion qu'elle amène.
Jon Hamm et Olivia Wilde comblent superbement le casting.


Une histoire de plus de vingt ans qui résonne encore de par son actualité. Tant les médias et le gouvernement sont de véritables monstres, pourris, profiteurs, sournois. Pourquoi chercher le coupable quand on en a un parfait sous les yeux ? La question est valable pour les forces de l'ordre, comme pour les médias. L'un se faisant passer pour les héros, l'autre amassant un paquet de tunes grâce à ses unes calomnieuses. Ni l'un ni l'autre ne cherche plus loin, dénonçant, détruisant et anéantissant des vies pour le profit. L'humanité, que c'est beau...


S'il suffisait de dénoncer les injustices pour qu'elles soient éliminées... Puis bon, sans injustices, on aurait pas tout un tas de grands films donc bon...


Clint Eastwood, grand, une fois encore. Épatant de par sa modernité, de par son classicisme toujours aussi percutant, prenant, ciselé.
Pour autant, il n'offre pas en fin de film les traditionnelles images d'archives, mais glisse judicieusement et discrètement, comme l'homme qu'il était, une interview télévisée du véritable Richard durant le métrage. La première interview du héros, la seule qui compte.

-MC

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