Le boxeur Midge Kelly (Kirk Douglas, impérial) est présenté par le speaker comme « le champion le plus populaire de l'histoire de la boxe ». La foule, dit-il, acclame plus qu'un homme. Elle acclame un destin, celui d'un petit gars parti de rien et arrivé au sommet.
La boxe regorge d'histoires de self-made-men. Rêve américain. N'importe qui, à force de travail et de détermination, peut s'enrichir. Kirk Douglas gants aux poings, en contre-plongée, spot dans le dos comme un soleil, semble un géant, un demi-dieu.
Mais avec Champion, c'est l'envers du décor que nous fait découvrir Mark Robson. Pour se hisser au sommet de son art, Midge ne va pas seulement travailler, persévérer, encaisser. Il va (se) trahir, décevoir, écraser. On n'atteint pas le sommet sans commettre quelques saloperies. Le scénario est de Carl Foreman (*Le Train sifflera trois fois*, *Le Pont de la rivière Kwaï*, *Les Canons de Navarone*...) qui figurera par la suite sur la Hollywood blacklist. Trop subversif ? Sans doute.
*Champion* commence comme un film noir, avec ses clairs-obscurs expressionnistes. Et c'est bien l'ombre peu glorieuse d'un personnage lumineux que va nous montrer Robson. C'est l'histoire du « p'tit gars » qu'il va nous raconter. Après la scène nous montrant l'arrivée triomphale de Kelly sur le ring, raccord et flash-back sur le visage de Kirk...
Midge et Connie, son frère boiteux, se font dépouillés par trois types dans un wagon de marchandises. Le futur boxeur n'hésite pas à balancer des mandales, mais les frangins se retrouvent au milieu de nulle part et sans rien, éjectés du train. Ils font du stop pour arriver jusqu'en Californie où les attend, pensent-ils, un petit resto de hot-dog dans lequel ils ont acheté des parts. Le boxeur Johnny Dunne les fait monter dans sa voiture. À côté de lui, une blonde pimbêche méprise les deux vagabonds. Le mépris de cette femme, mépris de classe, va définitivement marquer Midge.
C'est par hasard qu'il va se retrouver sur le ring. Un gros bonnet, tout en chapeau et cigare, lui demande de remplacer, au pied levé, un boxeur blessé. Pour 35 $, Midge n'hésite pas. Sans rien connaître à la boxe, il termine les quatre rounds le sourire aux lèvres. Il n'a pas cadré une seule fois son adversaire mais il a un cran, une endurance et une capacité à encaisser hors du commun. Tommy Haley, un petit manager, lui propose de passer au club Bradey.
Le restaurant était une arnaque. Le type à qui ils ont filé du blé s'est tiré. Ce n'était qu'un employé, viré pour escroquerie. Cette étape va s'avérer cruciale pour Midge comme pour le spectateur. L'idylle avec Emma, la fille du patron, va se solder par un mariage contraint. Une séquence sur la plage, aux lumières hasardeuses, va révéler à la fois une rivalité fraternelle et, ce qu'on avait déjà compris sans qu'on appuie autant le propos, un sentiment d'infériorité de Midge lié à sa condition : « Les gens gentils ne gagnent pas d'argent », « Je veux qu'on m'appelle Monsieur ».
Midge, mari forcé et employé méprisé, retourne donc à la boxe. Son entraînement se fait au rythme du burlesque, séquence réussie où Kirk Douglas s'entraîne sur une musique et des bruitages qui rappellent autant Chaplin que Keaton et qui soulignent sa ténacité, robotique et régulière. Midge enchaîne les victoires faciles. Les adversaires tombent comme des mouches.
Mais le milieu puant qu'est la boxe le rattrape. Quand il doit affronter Jonnhy Dunne, on lui demande de se coucher. C'est en voyant, sur le ring, le visage méprisant de la blonde que Midge décide de se battre. Et il couche le champion au premier round.

C'est là que le film est le plus intéressant, quand il associe la blondeur de la bourgeoise à la folie du boxeur. Midge veut, à n'importe quel prix, s'extirper de sa classe et conquérir l'or que symbolise la chevelure blonde de Grace.


On déplorera la mise en scène des combats de boxe, très saccadés et chorégraphiés. Il suffit de revoir ce qu'étaient, dans les années 1950, les combats de poids lourds où les coups pleuvaient avec une rapidité déconcertante, pour trouver lourdauds les boxeurs du film.
Pour atteindre le sommet, Midge trahira et son manager et son frère, et sa femme. *Champion* restitue à merveille ce que pouvait être (et peut être encore) l’ascension d'un boxeur. La puissance physique implique la puissance financière et la puissance sexuelle. L'accession à un nouveau titre implique l'accession à une nouvelle puissance de frappe : un manager qui a le bras long. Le bon boxeur, devenant riche, a également la possibilité de coucher avec des femmes d'un statut supérieur.
Ce que montre parfaitement *Champion*, c'est l'imbrication de ces trois enjeux de pouvoir : force physique, pouvoir financier, puissance sexuelle. Il le fait de façon presque inconsciente, en tout cas subrepticement. Quand on sait ce qu'il adviendra de Carl Foreman, on se demande si le fait même d'avoir été discret ne l'a pas tout de même condamné par la suite. L'accession à la gloire n'est-elle pas systématiquement synonyme de trahison, de mensonge et de compromis immoraux ?

Champion, par sa réalisation circulaire et sa fin puissante, répond de façon magistrale. Si une légende est éblouissante, jetons un œil à son ombre.

MonsieurPoiron
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le 3 oct. 2020

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