Projet français particulièrement ambitieux de par son sujet et son budget (confortable enveloppe de 20 M€), Le Chant du loup avait de quoi susciter la curiosité. En effet un film cocorico qui se déroule majoritairement au coeur d'un sous-marin dans un contexte de guerre froide moderne, ça de quoi intriguer et intéresser. Antonin Baudry, connu pour son scénario de Quai d’Orsay porté à l’écran par Bertrand Tavernier, nous propose ainsi sa première réalisation sur un sujet très prometteur sur le papier. Promesses tenues?


Avec images, c'est toujours plus sympa


    La première demi-heure du film devrait mettre tout le monde d’accord. Le Chant du loup s’ouvre en effet sur une séquence particulièrement immersive qui offre son lot de sensations fortes. Chanteraide (François Civil), oreille d’or dans un sous-marin nucléaire français en mission près des côtes syriennes, va commettre une erreur d’appréciation qui mettra tout l’équipage en danger. Il y a vraiment de tout pendant ce long passage d’introduction : du suspense, de la tension et un découpage clair qui fait que l’on ne perd jamais de vue les enjeux de la scène malgré les multiples termes techniques employés. Baudry s’est visiblement beaucoup documenté sur le monde naval militaire et on ressent à tous les instants cette approche réaliste, ce qui est une bonne chose pour rester pleinement en immersion dans le récit. Et c’est suffisamment compréhensible pour que l’on ne se paume pas devant ce qui nous est présenté à l’écran, le sens est là.
Cette séquence réussie pose aussi d’entrée tous les enjeux qui vont animer le film. Nous sommes dans un contexte contemporain où les relations internationales sont tendues. Le Monde est une poudrière sur le point de basculer vers un nouveau conflit, potentiellement plus destructeur que jamais. Sacrée base de départ pour un scénario qui s’annonce palpitant et ambitieux. Mais c’est malheureusement sur le scénario que le bât blesse finalement du fait de nombreuses maladresses trop visibles pour être ignorées.

Et pourtant ce mélange de Docteur Folamour, Point Limite et A la poursuite d’Octobre Rouge à la sauce française partait sur de si belles bases… Ce n’est pas tant les grandes lignes de l’histoire qui posent problème mais plutôt les ficelles scénaristiques et intrigues secondaires qui font perdre de la force au récit. Baudry va notamment s’embarrasser d’une amourette dispensable qui n’aura pour conséquence que de casser le rythme. L’histoire avance suite à un élément qui en découle mais ça reste trop anodin et long pour ce que ça a à raconter. C'est trop convenu, cousu de fil blanc...
Et l’accumulation d’autres situations tirées par les cheveux avec des personnages toujours au bon endroit au bon moment et des juste-à-temps évitables est également à déplorer, notamment sur la fin.

SPOIL
A ce titre, la scène où seuls les personnages de Civil et Kassovitz se relèvent après le tir du missile en est le parfait exemple. Nous ne sommes même plus sur de grosses ficelles là mais de grosses cordes
FIN DU SPOIL


C’est un film de contrastes qui joue au yoyo en passant subitement d’une scène brillante à une scène nulle, ce qui est assez déstabilisant. Mais pour sa défense il y a quand même plus de scènes réussies que ratées (et heureusement !).


    Malgré le petit cou de mou narratif entre deux missions, le film n’en perd pas moins son fil conducteur qui permet une montée en tension progressive et efficace du récit. Hormis Chanteraide, 3 autres personnages principaux auront le droit à un développement consistant qui permet de les cerner, de s’y attacher et d’éprouver ainsi une immense empathie. Assez bien écrits et bien interprétés dans l’ensemble même si Matthieu Kassovitz surjoue un peu, ce qui ne détone pas néanmoins avec son personnage d’amiral fort en gueule. On retiendra un Omar Sy crédible en capitaine bienveillant mais c’est surtout Reda Kateb qui crève l’écran et campe un rôle dramatique avec la sobriété naturelle qu'on lui connaît. 
Et le fait de croire en ces personnages contribue fortement à toute cette tension que l'on peut ressentir en tant que spectateur face à ces plongées sous haute pression. Baudry nous propose en plus un sens du cadrage et du montage vraiment efficace. Je refais un aparté sur la séquence d'introduction qui fonctionne particulièrement bien avec cette alternance de gros plans sur des visages tendus, sur l'absence de musique et avec pour seuls sons ces bruits mystérieux que l'oreille d'or doit analyser en temps réel. On ne sait pas de quoi il s'agit, lui-même ne le sait pas. La séquence est angoissante et joue habilement sur le hors-champ. Il y a un réel talent de réalisation derrière ce film c'est certain et c'est vraiment dommage que le film comporte autant de défauts évitables. Avec une meilleure écriture d'ensemble, nous étions pas loin d'obtenir une petite pépite.

Le Chant du Loup ne sera donc pas le Citizen Kane d'Antonin Baudry. Il n'en demeure pas moins un film sympathique avec des idées de cinéma intéressantes et une histoire prenante. L'impact des quelques défauts du scénario seront ressentis de façon variable en fonction des spectateurs et selon l'importance qu'on décide de leur accorder. Pour ma part difficile de passer à côté des ficelles énormes qui font avancer le récit de manière trop artificielle. C'est trop gros pour être ignoré. Et c'est dommage que la narration ne soit pas plus épurée au profit d'une présentation plus détaillée de la vie d'un équipage, à la manière de Das Boot (qui est un peu la référence absolue du film de sous-marin).
Ceci dit, j'en garderai un souvenir positif grâce à cette réalisation efficace et ces personnages que l'on a plaisir à suivre dans un tel contexte. Les enjeux et dilemmes moraux qui ressortent du dernier tiers du film sont de plus suffisamment puissants pour marquer, interpeller et interroger. C'est aussi cela qui fait l'efficacité du film, tourner cette histoire dans un monde contemporain proche de basculer dans le chaos avec des hypothèses tout à fait crédibles. Et on ne va pas se mentir, quand on sait que ce film a coûté moins cher que les derniers films de Dany Boon, on a quand même bien envie de lui donner des sous pour encourager d'autres productions du même calibre au lieu de navets hyper chers tournés en appartement.
Moorhuhn
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le 2 avr. 2019

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