« Pour un film français... » chaque année l'expression usée et repassée revient sur la table, sans toutefois en délimiter les critères précis. Plus qu'une absence de « grands films » que seul le temps façonnera, l’époque manque cruellement de films moyens. Ni grande entreprise au budget faramineux, ni système de production indépendante, des séries B au budget correct et à l’efficacité comme signature. On remet donc soigneusement les couverts avec ce chant à tonalité canine. Grosse production française un des budgets français les plus conséquents de l’année (22 M d'euros) à égalité avec le J'accuse de Polanski. Mis à part l’autoportrait maquillé au dolorisme problématique de l'un, les deux projets partagent quelques point communs forts.Un intérêt pour la question politique nationale, doublée d'une interrogation sur les institutions à travers leurs failles et paradoxes.


Quelques timbres disgracieux écorchent cependant nos écoutilles. Un actorat français qui a toujours du mal à se défaire de ses oripeaux théâtraux. François Civil en tête à la diction ampoulée, bien que doté d'un talent touchant dans l'expression de sa fragilité. Pas aidé par une sonorité du texte et de la langue française perdue au fur et à mesure des années et dont on a visiblement toujours pas retrouvée traces. Les Aurenche, Audiard, Clouzot, ou Blier semblent bien loin... On tourne donc la tête à l'ouest, parfois au point de s'attraper un méchant torticolis. Impossible donc d'échapper à des lignes de poing saugrenues, auxquelles il manque tout de même une pincée de punch. Fleurissent en conséquence, des métaphores fruitières relativement opaque, dont on ne sait pas précisément où elles ont été cueillies, ainsi que des octopodes amateurs de hard rock. Baudry évite de justesse la courbature. Utilisant son passif de diplomate, le réalisateur parvient à raccrocher le propos politique du film à une angoisse contemporaine. Il faut bien l'admettre les enjeux du film sont très prenants, et atteigne une dimension épique assez rare au sein de la production française. En bon apprenti alchimiste le réalisateur tente d’homogénéisé l'intime à sa concoction, la tentative ne se fait pas sans heurts. Une relation amoureuse naissante, qui malgré le joli minois de Paula Beer tombe complètement à plat. On renifle trop la formule et pas assez le personnage. La dernière image du film viendra confirmer cela. Malgré cet impair Baudry maîtrise son sujet et en connaît la rareté. Au contraire de nos voisins d'outremer pas avare en publicité cinématographique, l’armée française reste discrète si ce n'est carrément secrète. Tout en condamnant sa rigidité aux racines ancestrales, le cinéaste insuffle avec succès une dignité proprement militaire entre solidarité et loyauté, bravoure et honneur. Un sentiment complexe flirtant avec une vénération parfois fanatique du sacrifice qui s'incarne chez tout les personnages, les acteurs transcendant cette émotion avec plus ou moins de succès.


Malgré tout le scenario reste d'une grande efficacité. Les séquences s’enchaînent, une logique de tension continue qui traverse le film et ne lâche pas le spectateur. Au diapason du protagoniste le spectateur est pris dans une toile adoptant une inquiétante allure mondiale. Plus que le sous genre fétichiste du film de sous marin Baudry emprunte à mi chemin la voie du thriller paranoïaque sauce 70's. Il va falloir défier la sacro-sainte administration. Défi d'autant plus douloureux pour Chaussette, poussé à trahir l’armée qu'il considère comme une figure paternelle. Pour au final faire émerger le monstrueux complot au grand jour, photosynthèse explosive, au souffle destructeur, emportant tout sur son passage. Une cassure dans le récit bien sentie. Baudry sait manier les silences et contrepoints, en témoigne la savoureuse et audacieuse scène du téléphone, et les moments d'agonie silencieuse.


Seul les détails sont parfois grossiers, car l'ossature du projet est solide. On survolera donc une scène de piratage aux accents nanard tout de même assez prononcés. Plus problématique lorsque l'on s'aperçoit qu'elle prend le risque de casser la cohérence du personnage principal, le faisant passer d'un soldat humain aux nombreuses failles, au statut de super-héros, auquel il est difficile de se rattacher. Il faut tout de même se remémorer qu'il s'agit d'un premier film, avec un budget élevé qui plus est. Un premier essai assidu, en atteste la travail de documentation conséquent, le façonnement du son, véritable orfèvrerie. Un champ sonore remarquablement spatialisé, enrichissant un hors champ qui aurait pu être insuffisant.


Car la spatialisation visuelle elle, est assez maladroite. Un choix de point de vue allié à un montage qui peine à placer et lier les positions des protagonistes. Il devient alors ardu de distinguer les différentes oppositions. Erreur en partie dû à une mise en scène quelque peu casanière. Baudry semble rechigner à l’idée de sortir de la salle de commande. Ce qui pose un certain souci puisque celle-ci ressemble comme deux gouttes d'eau à celle du sous marin adverse. Enfin un découpage qui a tendance à se répéter, même si Baudry joue astucieusement avec les paramètres de son décor (Hauteur, longueur et couleur en majorité) les idées de plans manquent de diversité. Rassurons nous toutefois, le face à face final est sauf. Tout en tension statique et dilemmes insolvables, Baudry parvient à cristalliser la tragédie. Captant un réel désemparement, une ironie au delà de la cruauté. Une grande victoire achetée au prix d'un échec colossal. Une succès saveur saumure, désagréablement difficile à déglutir.

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le 29 janv. 2020

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