Le Château ambulant
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Le Château ambulant

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2004)

"Eh oui, un cœur, c'est lourd à porter !"... Peut-être la plus belle phrase entendue dans un film de Miyazaki, alors que son oeuvre époustouflante ne manque pourtant guère d'instants miraculeux et de "petites phrases insignifiantes" qui embrassent la complexité effrayante du monde. Du monde et des êtres qui le peuplent, humains, esprits ou démons.


Avec le "Château Ambulant", l'immense Miyazaki signait en 2004 un film libre de toute convention narrative "classique", mais aussi démesuré et ambitieux, au risque - totalement assumé - de perdre son spectateur en route. En faisant foisonner diverses couches de réalité au sein d'une seule (et surtout d'un même visage - voir les changements continuels assez fascinants de l'apparence de Sophie), en reconnaissant totalement l'instabilité essentielle du monde, il propose une oeuvre à la fois conceptuelle et poétique, donc pas forcément aussi aimable qu'à son habitude.


Thématiquement, "le Château Ambulant" interroge de manière complexe - mais jamais confuse - la nature humaine, sa superficialité (l'importance de l'apparence, pourtant clairement incontrôlable, qui guide les décisions de tous les personnages), et son inconstance... qui mène ici à une guerre totale - et guère justifiée - entre deux nations qui s'arrosent mutuellement de bombes incendiaires. "Le Château Ambulant" est donc un film douloureux, effrayant : les plaisirs simples de la vie "familiale" menée par Sophie, Marko, Navet et Calcifer, ainsi que les passages humoristiques centrés sur Calcifer, l'amusant démon qui anime le château avant de se révéler littéralement au "cœur" de l'intrigue, et sur le chien espion qui tousse, n'ont finalement que peu de poids par rapport aux tourments de l'amour qui torture même les vieilles femmes, et par rapport aux scènes de destruction massive (les Alsaciens souffriront sans doute de voir leur belle ville de Colmar en flammes !).


Si l'on se sent parfois menacé d'épuisement devant les métamorphoses continuelles du château et des personnages, on pourra toujours se raccrocher à l'intense beauté des images, à la musique inégalable de Joe Hisaishi, ici au sommet de son Art, et surtout aux multiples envolées lyriques qui confinent fréquemment ici à la pure magie : tous les instants suspendus dans le cadre idyllique des marécages fleuris où Hauru passa son enfance et fit son pacte avec un démon sont terrassants d'émotion.


On pourra toutefois regretter - s'il faut trouver un (très léger) défaut à ce film "bigger than life" - l'abrupt Happy End final (Miyazaki en était conscient, puisque, pour une fois, il permet à l'un de ses personnages de commenter ce désir d'une "fin heureuse", aussi improbable soit-elle, dans un moment "méta" à notre connaissance unique dans son oeuvre...), qui ne fait que déséquilibrer un conte intensément pessimiste.


[Critique écrite en 2020 à partir de notes prises en 2005 et 2006]

EricDebarnot
8
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le 21 août 2014

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Eric BBYoda

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