Le Château dans le ciel
7.9
Le Château dans le ciel

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1986)

Tel un vase débordant de rêves, Le Château dans le ciel détient une part de magie inexplicable qui agit sur l’âme à la manière d’un baume, infusant merveilleusement l’énergie de l’enfance au cœur du récit, manipulant les peurs et les désirs enfantins afin de précipiter le spectateur dans un état d’ébahissement admiratif : Miyazaki, en bon façonneur de mythologies, transmet avec une acuité déroutante les émotions qui bercent l’âge tendre et parvient miraculeusement à plonger le public dans une douce jeunesse, et ce, que son enfance ait été heureuse ou non. Le Château dans le ciel est un nuage qui, tout comme ceux vers lesquels se sent attiré Pazu, véritables mystères ambulants recelant un lot de secret que seule l’imagination est en mesure de saisir, nous ensorcèle et fertilise notre esprit pour que de celui-ci s’échappe un millier de rêves démesurés, rêves qu’on tente en vain d’emmurer, mais qui toujours ressurgissent plus impétueux qu’avant.


Au cours du Château dans le ciel, les deux protagonistes, Shiita et Pazu, privés de figures parentales, se forgeront petit à petit, comme il est courant dans le cinéma de Miyazaki, une parentalité de substitution composée d’un ermite pour grand-père et d’une pirate en cheffe, au départ leur ennemie, mais devenue par la suite bienveillante, pour tante (renversement du mal permettant au réalisateur de se jouer du manichéisme, prouvant ainsi toute son intelligence scénaristique). Unis par leur jeunesse volée (Shiita est poursuivie et vue comme un trésor, Pazu singe le comportement d’un adulte et travaille dans les mines), une complicité quasi-fusionnelle verra le jour et liera à tout jamais le destin de ces touchants orphelins. Cette absence de parents, quoique anodine aux premiers abords, apparaît en fait comme la retranscription symbolique d’un phénomène observable chez tout adolescent qui se respecte : le désir de fuir l’autorité et de se soustraire à un monde d’un trop grand sérieux. Par les douces histoires de ses personnages, Hayao Miyazaki insuffle au fantastique un tronçon de vérité, élément primordial qui facilite la connexion entre spectateur et œuvre.


Durant le film, deux transitions entre la terre et les airs s’effectuent, l’une au tout début et l’autre aux trois quarts de l’histoire. Ces transitions, sortes de passages allégoriques, viennent raffermir le thème phare du récit : l’amalgame du concret et de la fiction au sein d’une vie humaine. La chute de Shiita au tout début symbolise son entrée dans le vrai monde, théâtre industriel où les machines se nourrissent de charbon et vomissent de la vapeur, tandis que l’ascension finale vers Laputa témoigne du retour (fortement apprécié) à l’imaginaire onirique de Miyazaki. Pendant la période du film se déroulant sur Terre, il se présente pour le réalisateur l’occasion de conjuguer dans la même image nature époustouflante et machinerie à la fois effrayante et captivante : le résultat est, comme à l’habitude, magnifique et la poésie dégouline de la photographie. Lorsque, peu de temps après, le générique de fin débute, le film nous quitte dans un entre-deux, entre ciel et terre, ses personnages ayant trouvé l’équilibre parfait du rêve et du réel, dans un état d’enjouement candide d’une absolue beauté.


Toujours aspiré par les hauteurs, Miyazaki, au cours de sa longue et prolifique carrière, s’est affirmé comme détenteur d’une galaxie de mondes colorés et fantastiques qui n’ont cessé d’exprimer sa fascination envers les cieux (qu’on retrouve systématiquement dans – la plupart – de ses œuvres : Nausicaä, Le Château dans le ciel, Kiki la petite sorcière, Porco Rosso, Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant et Le Vent se lève). Ici, il parvient à concevoir un univers d’une singularité saisissante et d’un lyrisme somptueux. Laputa, le château de nos rêves démesurés, paraît surnaturel, les décors, trop jolis pour être vrais, semblent être les chimères qu’une enfance collective aurait fabriquées et la musique (peut-être la plus belle partition de Joe Hsaishi), mémorable et envoûtante, a l’aspect nostalgique des paysages impressionnistes. Doté d’une ingéniosité esthétique hallucinante, Le Château dans le ciel estampe à jamais dans le cœur du spectateur ses sublimes images, mirages fabuleux qui confèrent une grâce sans pareille à l’œuvre nippone.


Pour son troisième film, Miyazaki échafaude une des œuvres les plus complètes et passionnantes de sa carrière, il pétrit son matériau original (un simple récit d’apprentissage) et en fait une douce poésie melliflue qui traduit son amour pour la folle vastitude du ciel et des songes. Scandant la vengeance de la nature sur les inventions artificielles qui souillent la Terre (retour d’ascenseur qu’incarnent les magnifiques golems), le propos fondamentalement écologiste de Miyazaki se dessine en même temps que progresse le récit (ce qui ne l’empêche toutefois pas d’exprimer un vif intérêt à l’égard des structures industrielles) et s’imbrique parfaitement à l’histoire fantasmagorique du Château dans le ciel. Semant à même son intrigue des développements sous-jacents tel le périple du père de Pazu, mort d’avoir renoncé à ses espoirs, le réalisateur japonais élabore une morale simple (car il sait pertinemment que la simplicité triomphe toujours de la complexité) mais d’une pureté émouvante : pour vivre une vie heureuse, il faut poursuivre ses rêves jusqu’à leur accomplissement, les pourchasser jusqu’à leur firmament, s’acharner jusqu’à découvrir les cieux qu’ils dissimulent et de là, contempler la vue, savourer comme Pazu et Shiita l’exaucement de ses rêveries. Dans les larmes ou les transports de joie, Miyazaki encapsule la beauté et la fébrilité de l’humanité avec une sensibilité qu’il est sans doute le seul à détenir.

mile-Frve
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Hayao Miyazaki, l'onirisme nippon

Créée

le 12 juin 2021

Critique lue 69 fois

1 j'aime

2 commentaires

Émile Frève

Écrit par

Critique lue 69 fois

1
2

D'autres avis sur Le Château dans le ciel

Le Château dans le ciel
Torpenn
8

Boule de Swift

Après avoir bouffé sa dose de vache enragée, Miyazaki connait avec Nausicaä un succès retentissant tant en version papier que dans son adaptation au cinéma. A une époque qui privilégie télévision et...

le 6 nov. 2012

157 j'aime

20

Le Château dans le ciel
DjeeVanCleef
9

Laputa.

Décidant d'établir un semblant de culture cinéma chez une naine que je connais - à grands coups de Rabbi Jacob, de Cirque et de quelques Burton, Tim pour commencer, on verra pour jack plus tard - je...

le 18 mai 2013

109 j'aime

22

Le Château dans le ciel
Sergent_Pepper
8

Itinéraire de délestage

Le troisième long métrage de Miyazaki, découvert sur le tard en France grâce au succès de ses chefs d’œuvres à l’aube des années 2000, a dû surprendre les nouveaux amateurs. A priori bien plus...

le 31 mai 2015

94 j'aime

3

Du même critique

Spencer
mile-Frve
9

Pétrification du désenchantement

Par-delà les parures, les joailleries et les sourires factices que revêt Diana, plumage de cristal fendu jusqu’à la pointe des ailes, se tapit le désenchantement mélancolique de la frêle et diaphane...

le 9 déc. 2021

10 j'aime

Nitram
mile-Frve
8

Un certain goût du désordre

Les raisons susceptibles de légitimer la démarche cinématographique de Justin Kurzel lorsqu’il conçoit son long métrage Nitram abondent; qu’elles relèvent du traité abolitionniste concernant...

le 20 avr. 2022

8 j'aime

Le Dernier Duel
mile-Frve
5

La vérité, une futile parure

Parce qu’il a voulu condenser sa vision et multiplier les idées irriguées par son sous-texte au cœur du troisième et dernier acte, Ridley Scott dévoile une œuvre à demie achevée, composée d’un...

le 24 oct. 2021

8 j'aime

2