Kurosawa revisitant l’une des œuvres majeures de Shakespeare, Macbeth, ne veut souffrir de la comparaison et porté par l'émulation du génie voulant égaler l'autre génie, il réalise un film magnifique n'ayant rien à envier à son prédécesseur.
Adapté une pièce de théâtre au cinéma n'est jamais tâche aisée, plus d'un s'y étant cassé les dents en se limitant trop au texte, en s'enfermant dans un espace limité, en ne parvenant pas à traduire avec la caméra la poésie de l’œuvre originelle. Or Kurosawa évite cet écueil en posant sa griffe d'une main de maître et signe une mise en scène parfaite, aidée d'une bande-son ahurissante, entre extériorité vague, mystérieuse et dangereuse et intériorité indécise, machiavélique et tourmentée, le tout formalisé avec des plans larges sur des paysages minimalistes (sorte de tableaux à l'esthétique japonaise par son épure, réduits à une sobriété de formes et de mouvements), des travellings avant puis des gros plans sur les visages emprunts de peur, de folie, de désespoir, de vengeance, de soif de pouvoir, des travellings latéraux époustouflants accompagnant les cavalcades dans les bois ou les attaque de flèches finales, etc...
En outre, il recrée avec brio un Japon médiéval qui lui est si cher, y mêlant aussi le registre merveilleux propre au conte, à une époque où les vastes croyances offraient à l'imagination un champ considérable à explorer. Ainsi il baigne son film parmi une ambiance flirtant avec le songe, où les formes se dissolvent dans une brume tenace et s'évaporent au milieu des bois mystérieux, pendant une époque médiévale japonaise où les valeurs courtoises comme la loyauté, la prouesse, la vaillance régnaient. Or, la voix du mal - ici personnifiée par Asaji, la femme de Washizu - conduira ce dernier à enfreindre ce code moral et à se laisser séduire par le pouvoir.
Le château de l'araignée n'est d'ailleurs qu'une fable sur le pouvoir, comme a pu l’être plus tard Aguirre de Herzog, pouvoir capable de changer l'être, car il pousse à la violence la plus cruelle pour assouvir ses besoins au détriment de la morale mais ne peut s’achever que sur la culpabilité, la folie puis l'inéluctable mort (la tragédie – fatum – avec la fin annoncée dès le début par les sorcières). Or ce pouvoir – et c'est là la morale de Kurosawa - n'est que vanité, illusion, vague songe halluciné, comme pourra le constater Washizu (soit dit en passant, excellent du début à la fin, méritant sans aucun doute la meilleure récompense possible).
Film classique majeur, incontournable, intemporel, à voir et à revoir.