« Libère le Kraken ! » L'ordre de Zeus, lancé à son frère Hadès, promettait une scène grandiose, l'apothéose apocalyptique d'une fresque épique époustouflante. C'était du moins la promesse d'une bande-annonce très excitante, car Le Choc des titans est un leurre, une arnaque, une trahison colossale.

N'ayons donc aucune vergogne à trahir le film en commençant par la fin, la fameuse scène du Kraken. Un monstre virtuel de plusieurs centaines de mètres de long surgit des abysses pour dévaster la cité sacrilège d'Argos. Le valeureux Persée, après avoir triomphé de quelques menus dangers (on aurait tant voulu dire « mille »...), se dresse face au Kraken pour sauver la ville. La guerre d'Argos va-t-elle avoir lieu ? Le choc des titans va-t-il enfin se produire ? Pas vraiment. Au lieu de monter en puissance, le finale se dégonfle. On assiste, ahuris, à l'un des plus grands pétards mouillés de l'histoire du cinéma de genre. Il y a bien un choc, mais seulement face au ridicule incroyable du dénouement. Persée monte au ralenti sur un petit piédestal de bois, avant de se dresser devant le faciès démesuré du monstre, un clone étiré de l'Abomination (cf. L'Incroyable Hulk, du même Leterrier). Le guerrier brandit la tête tranchée de la Méduse et pétrifie son ennemi en un clin d'œil. Sans coup férir, son corps de pixels, changé en pierre, s'écroule avec tout le fracas d'un bloc de polystyrène de quelques grammes, ébranlant à peine la ville. L'enchaînement des plans dure à peine cinq minutes. Tout ça pour... ça ? Des centaines de millions de dollars engloutis dans une montagne d'images de synthèse approximatives pour aboutir, cerise pourrie sur l'indigeste gâteau, à une scène finale aussi peu ambitieuse ? Aussi bâclée ? Aussi grotesque ? S'il ne s'agissait que de cette scène...

Mais Le Choc des titans étale, dès ses toutes premières minutes (d'un didactisme niais), son manque total de souffle épique, son irrespect arrogant vis-à-vis du spectateur, sa platitude esthétique et scénaristique. Il est absolument scandaleux de voir de tels films, aussi coûteux, sortir sur nos écrans. A l'âge où la technologie numérique est capable de merveilles visuelles (District 9, Star Trek, Watchmen, Avatar...), on ne peut excuser la médiocrité flagrante des effets spéciaux purement utilitaires du Choc des Titans : des scorpions géants à l'animation saccadée, une Méduse tellement hideuse qu'elle semble provenir d'un mauvais jeu vidéo, un Pégase aussi risible que les chauve-souris en carton du Dracula de Tod Browning (1931)... A croire que la Warner s'est offert les services des pires infographistes de l'industrie hollywoodienne. Pour imiter les effets, maintenant archaïques, de la version originale de 1981, il eût été plus judicieux de revenir aux techniques de Ray Harryhauser, et non pas fabriquer de mauvaises images de synthèse ! L'indigence visuelle et le mauvais goût culminent dans la représentation des dieux de l'Olympe, qu'on croirait tout droit sortis d'une pub Paic Excel : leurs armures brillent de mille feux, comme des couverts de cuisine virtuels, d'une propreté aussi absolue que trompeuse. Un ratage dantesque.

Il en va de même pour l'interprétation. A peine concernés par leurs rôles, les acteurs ne jouent pas, ne font passer aucune émotion, comme pétrifiés par la Méduse. Gemma Arterton, déjà potiche dans Quantum of Solace, incarne une Io anecdotique, allant jusqu'à jouer sa mort comme elle se relaxerait à l'ombre d'un cocotier. Sereine comme une vache sacrée. Sam Worthington, le héros, s'affiche comme le comédien le plus transparent de sa génération, adoptant un jeu bi-expressif : neutre / crispé. Mais qu'est-ce que James Cameron a bien pu voir en lui ?

Le pauvre spectateur, incapable de s'identifier à qui que ce soit, s'enfonce avec un ennui grandissant dans les méandres d'un scénario bâclé (moins de deux heures...), qui se traduit à l'écran par un montage ultra-elliptique, tellement superficiel et tronqué qu'il en devient parfois illisible. Un comble pour un film destiné à un public a priori facile, amateur de blockbusters. On simplifie l'histoire et la psychologie, dans le seul but de multiplier le nombre d'entrées, au point d'oublier de faire du cinéma. Assurer la promotion d'une telle catastrophe filmique pourrait passer pour un crime. La victime ? Le spectateur. Et sa foi dans le pouvoir enchanteur des images, qui s'étiole dans la nullité qu'on lui propose. L'industrie hollywoodienne ne s'adresse plus à des humains, seulement à leur pouvoir d'achat. Dangereuse dématérialisation, source de bien des abus ! Les majors produisant de plus en plus de navets de luxe, le cinéma subit un inquiétant nivellement par le bas. On en vient à regarder indifféremment les films dans les salles et sur les écrans minuscules des téléphones mobiles. Populaire ne rime pourtant pas avec misère esthétique ! Des chefs-d'œuvre (trop rares) tels que The Dark Knight, en sont la plus belle illustration. Si le succès olympien du film de Christopher Nolan était pleinement justifié, Le Choc des titans ne mérite qu'une place indigne dans « le terrier » des flops. Ce ne serait que justice.

Si vous tenez vraiment à voir des héros et des monstres de la mythologie grecque dans des décors sidérants de beauté, mis en scène avec grandeur et inventivité, tournez-vous vers la fabuleuse trilogie God of War, jouable sur Playstation. Violent, palpitant, épique, un jeu vidéo infiniment plus cinématographique que le naufrage de Leterrier et qui donne, pour une fois, plus envie de faire le geek devant une console que d'aller perdre du temps et (beaucoup) d'argent dans une salle obscure.

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le 6 août 2010

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