Une nuit. Une prison. Une rue. Deux évadés. Le début d'une longue cavale, entre nostalgie et fuite en avant. Celle d'un fugitif encore dans ses jeunes années (Gérard Depardieu, fébrile, imposant, sublime) qui, une fois séparé de son camarade d'école buissonnière, s'en ira demander de l'aide à un ancien retiré du Milieu (Yves Montand, classieux, imposant, sublime).


De générations éloignées, de traditions à bout de souffle, il en est fortement question dans Le Choix des armes, à la froide solennité des doyens répondant la fougue d'un jeune-homme prêt à tout pour conserver une liberté fraîchement arrachée aux griffes de la justice.


S'il est vrai que l'on juge un homme sur ses actes et non sur ses paroles, le réalisateur Alain Corneau associe constamment les mots au geste avec une maestria qui n'empêche pas les silences. Ceux du Choix des armes sont lourds de sens, chargés d'électricité sitôt que les hommes se taisent et que les regards se croisent.


A vrai dire, le film est parfois tellement maîtrisé et semble si sûr de ses choix qu'il prête presque à sourire, comme on le ferait sans moquerie d'un acrobate accompli en train de réaliser une figure hors-normes. Un aspect véhiculé en grande partie par le personnage de Michel Galabru, vieux flic cynique et faussement pince-sans-rire mais parfaitement désabusé.


Trop sûr de lui, on se dit que Le Choix des armes va forcément déraper, jouer la fausse note qui lui fera perdre sa stature. Il n'en est rien, le film érigeant scène après scène un immense polar aux forts relents de tragédie. Celle qui traîne ses guêtres dans la France d'en bas, sans misérabilisme mais avec la volonté inflexible de filmer décors de banlieue et campagne reculée avec la même puissance formelle, y insufflant une atmosphère tenace de petit matin embrumé.


De fait, les quelques éclats de violence sèche qui égrènent le récit décuplent l'humanité à fleur de peau qui habite et nourrit le long-métrage. Passionnant de bout en bout, Le Choix des armes affiche un amour du cinéma bien fait dont les accents lugubres contrastent merveilleusement avec le personnage incarné par Catherine Deneuve, épouse dévouée et lumineuse de celui joué par Yves Montand.


Drôle quand il le faut, grave et digne dans ses plus beaux moments, Le Choix des armes a également le chic pour dessiner une poignée de figures masculines au charisme surnaturel, certains antagonistes partageant le temps d'une scène une complicité vouée à l'échec, compréhension mutuelle et atavique qui unit ceux ayant fait leurs classes au sein de la même profession.


Certains pourront toujours qualifier ça de "cinéma de papa" ou encore arguer que ce film de 81, sorti vingt ans après l'avènement de la Nouvelle Vague, est un caprice anachronique. Du haut de mes jeunes années, permettez-moi d'y voir rien moins que du grand cinoche, celui dont la rigueur et l'intensité imposent le respect.


Décédé le 30 Août 2010 des suites d'un cancer des poumons contre lequel il lutta jusqu'au bout, Alain Corneau n'aura pas attendu que la mort rôde pour signer cet éblouissant polar funèbre. Bien lui en a pris : presque trois décennies avant son décès, Le Choix des armes lui assurait déjà une place parmi les grands.

Fritz_the_Cat
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le 13 oct. 2013

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