Lorsqu’il se frotte à l’Histoire, Verhoeven ne cède jamais au vernis figé de la reconstitution ou du manichéisme propre à la légende. On l’a déjà constaté dans le XIXème de Katie Tippel, on le retrouvera dans le Moyen-âge de La Chair et le Sang, et même dans l’histoire d’un futur épique dans Starship Troopers : le décapage est encore plus savoureux lorsqu’il évoque les travers humains dans une perspective universelle.


Soldier of Orange commence comme un film d’amis, à la manière de Spetters : variété des caractères dans une ambiance décadente avant même l’invasion nazie, lors d’un préambule de bizutage universitaire qui d’emblée égratigne les figures héroïques à venir, dans une ambiance assez proche de celle dépeinte par le If… d’Anderson.


Par bien des aspects, le film est le pendant masculin de ce que sera le très féminin Black Book : une plongée dans la Résistance et une saga retraçant le destin d’un pays malmené jusqu’à sa libération, et le règlement de comptes qu’elle occasionnera.


Dans un esprit fidèle à ses premiers films (on pense à ce burlesque un peu cradingue qui irrigue beaucoup Turkish Delice, voire Le quatrième homme), le cinéaste se plait à représenter des individus en pleine jeunesse bien avant d’en faire des héros. Maladroits, gaffeurs, obsédés sexuels, les scènes se multiplient pour éviter l’hagiographie, comme celle où la Reine de Hollande assiste, dans l’embrasure d’une fenêtre, à un coït de ses ouailles. La croix de fer se trouve jetée en pâture à des prostituées ivres, le traître meurt dans les latrines… A l’opposé absolu de l’âpreté sacrificielle de L’Armée des ombres, Verhoeven ne cesse d’affirmer cette évidence : quelle que soit la période, l’homme ne cesse d’en être un.


Un autre thème permettant d’illustrer cette vanité inhérente à la civilisation se retrouve dans la permanence de la fête : pour rentrer en Hollande depuis l’Angleterre, il faut passer par des soirées avinées, et le pays semble se vautrer dans une orgie permanente qui permet une infiltration en douceur, jusqu’à ce morceau de bravoure qu’est le tango entre les anciens frères désormais séparés par des choix idéologiques.


Tout ne relève pas pour autant de la farce, et c’est là l’intelligence du cinéaste : en humanisant ses figures, en déclinant les choix possibles entre les six amis d’origine face à la violence de l’Histoire (car il n’épargne pas non plus les sacrifices, la torture et les renoncements), Verhoeven parvient à ce regard singulier qui traverse toute sa filmographie : lucide, cynique, mais en réalité d’une profonde empathie.


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Sergent_Pepper
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le 23 mai 2016

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Sergent_Pepper

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