Retrouvailles avec Asghar Farhadi

Auréolé de ses deux prix acquis lors de l'édition 2016 du festival de Cannes (prix du scénario et prix d'interprétation masculine pour Shahab Hosseini), Le Client d'Asghar Farhadi est sorti en salles le 9 novembre. C'est l'occasion de se rendre compte de l'importance qu'a pris le réalisateur iranien dans le paysage cinéphile français (comme le confirme pour une fois le grand nombre de salles projetant le film à sa sortie) depuis la révélation d'un cinéaste jusqu'ici méconnu, qu'a été Une séparation (2011).


L'article directement sur le blog avec de belles images.


Asghar Farhadi situe de nouveau son intrigue dans l'Iran contemporain, après avoir fait un passage par la grande banlieue parisienne dans Le Passé, film qui ne m'avait pas autant convaincu que ses précédents bien qu'ayant de grandes qualités. On retrouve le cadre familier de la classe moyenne aisée iranienne déjà découverte dans À Propos d'Elly ou Une Séparation, mais qui va cette fois trembler jusque dans ses fondations, lorsqu'un bulldozer entreprend des travaux sur la parcelle voisine, travaux que l'immeuble ancien supporte mal. Cela donne lieu à un plan séquence magistral faisant office d'ouverture à ce drame. Entre un travelling dans les escaliers et un tremblement de l'immeuble on fait ainsi connaissance avec Emad et Rana qui seront les protagonistes de cette histoire.


Ceux-ci sont comédiens de théâtre amateurs et membres d'une troupe dont la première représentation de la pièce Mort d'un Commis Voyageur approche à grands pas. L'immeuble est extrêmement fragilisé et devient donc inhabitable, ce qui oblige le couple à trouver un nouvel endroit où vivre. Heureusement, un membre de la troupe et ami proche de nos héros leur propose un appartement à un loyer très avantageux. Mais dès la première visite quelque chose semble étrange, une des pièces reste verrouillée du fait de l'ancienne locataire, en attendant que celle-ci ne récupère ses affaires.


La première partie du film se déroule principalement dans trois lieux importants de la vie de Rana et Emad : la salle de classe de ce dernier, professeur visiblement apprécié de ses élèves, le théâtre où se déroule les répétitions et enfin le nouvel appartement que nos protagonistes tentent de rendre familier en l'aménageant du mieux possible. Les lieux sont définis, on commence à apprécier les différents personnages et on va jusqu'à partager un éclat de rire quasi collectif lors d'une répétition, quand la censure du régime rend une scène de la pièce totalement absurde. Mais un évènement, initié par un geste machinal et apparemment anodin, va bouleverser irréversiblement l'équilibre retrouvé après les secousses entraperçues dans l'introduction.


Si on exclut ce plan séquence initial, le film se déroule plus ou moins en trois actes, donnant au film un caractère dramatique issu du théâtre. Après tout, le générique de début du film n'est il pas constitué de plans (sublimes) de la salle de théâtre s'éclairant au fur et à mesure que les projecteurs s'allument ? Le décor est ainsi mis en place avant que le drame se déroule. Sans en dire plus sur la suite de l'histoire, j'ai trouvé que le film parvenait plus d'une fois à prendre le spectateur à contre-pied, allant dans un sens, voire un genre, différent à chaque acte. Si j'ai trouvé que le film marquait un peu le pas aux deux tiers, la dernière partie m'a littéralement scotché, Farhadi proposant une réflexion plus complexe qu'il n'y paraît.


Tout comme Une Séparation, ce qui frappe avec le cinéma du réalisateur iranien est l'universalité de son propos. Moins politique que les films de Jafar Panahi par exemple, le film se concentre plus sur les dilemmes moraux qui assaillent ses personnages. Culpabilité, vengeance, pardon ou encore regret sont des thèmes récurrents de l'oeuvre de Farhadi et sont ici abordés frontalement, en particulier dans ce dernier acte. Le prix de l'interprétation est allé à Shahab Hosseini mais on retient également la belle Taraneh Alidoosti déjà aperçue dans plusieurs films de Farhadi (Les Enfants de Belleville, La Fête du Feu, A Propos d'Elly) ou dans le déroutant Modest Reception de Mani Haghighi. Son jeu tout en retenu et en silences douloureux est remarquable et son retour chez Farhadi une très bonne nouvelle.


Ce film, sans être la claque que fut Une Séparation assied encore un peu plus le réalisateur iranien comme un artiste majeur de cette décennie, sûr de ses talents d'écriture et de mise en scène et dont chaque long-métrage permet au monde d'en apprendre un peu plus sur l'Iran, ce pays qui semble si différent mais en même temps si familier sous certains aspects. Son propos universel rend son œuvre plus accessible que celles de certains de ses compatriotes et permet à beaucoup de découvrir cette magnifique langue qu'est le farsi. En attendant son prochain film, je ne peux que conseiller d'aller voir Le Client, actuellement projeté dans toutes les meilleures salles !

lutece89
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le 18 nov. 2016

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lutece89

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