Le Conte de la princesse Kaguya
7.9
Le Conte de la princesse Kaguya

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (2013)

La tradition littéraire occidentale n'a laissé qu'une idée très biaisée des fables ou des contes. Si la Fontaine les voulait pour la plupart morales et politiques, les Allemands et Nordiques ont pris un parti moins exclusif, en emplissant les leurs de fantastique. Tout en n'ayant aucune connaissance des traditions littéraires japonaises, des traditions orales par exemple, je peux assurer que la fable nippone émerveille sans jamais tomber dans l'intéressé.

Certes, Kaguya porte vaguement une idée morale, derrière cette représentation d'un luxe futile, d'un Carpe Diem qui se passe volontiers de tout ornement. Pourtant, Takahata souhaite régulièrement passer au-delà. Le propos semble ne voir aucune fin précise, dans le sens où il n'y a pas une histoire particulière. Le conte suit son cours, telle une parenthèse enchantée, telles 2h20 dans une vie. On commence, on continue, puis on finit. On naît pur, on traverse une vie, on se fond dans la Création.

Pour sûr, Takahata cultive la nuance. Peut-être retranscrit-il ici la justesse du conte traditionnel. Mais tout n'est jamais réellement blanc ou noir. Ce prince qui avait fait craquer la Princesse n'avait-il pas compris ce que le spectateur attendait ? Un défaut de luxe, pour un bonheur dans l'improvisation perpétuelle ? Vivre sans but, mais vivre tout de même. Et ce Bouddha final, qui paraît si étranger, inamical, impersonnel ? L'apothéose semble n'en devenir pas une. La fable joue sur la frustration, justement parce qu'elle est une entrée au combien concise dans le déroulé d'une vie. Elle concentre en une fresque ce qui peut se dérouler en une vie, et la Princesse grandissant de minute en minute illustre parfaitement cette fonction qu'a la fable d'accélérer le temps, pour les besoins de la représentation.

Derrière cette merveilleuse poésie, le trait de Takahata résonne comme un coup de couteau sur un bambou. Ces esquisses imprécises, témoins d'une précarité de l'image, arrivent à provoquer une fascination totale pour chaque coup de crayon. On se prend à admirer cette succession de dessins, reflétant la précarité de la fable, la précarité de la vie. Et ces refrains redondants ne sont pas là pour nous en détourner : on revit incessamment les échos du passé, élans proustiens d'un trajet qui ne se soucie pas d'originalité, mais davantage de contemplation.

Et d'ailleurs, cette contemplation, dont on ne se rend pas vraiment compte qu'on l'a oubliée tant on était absorbé par la lenteur des images, et qu'on regrette de n'avoir pu en profiter lorsque le vent se lève, ne devient-elle pas la source de tout bonheur, même dirigée vers chaque fleur, vers chaque pouce de bambou, si tant est que la vie puisse y fleurir, et s'évaporer au même temps ?

Créée

le 24 janv. 2015

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Alexandre G

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