Le Conte de la princesse Kaguya
7.9
Le Conte de la princesse Kaguya

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (2013)

Le conte de la Princesse Kaguya est passionnant à plusieurs titres.

Le plus évident est l'envoûtement visuel et auditif procuré tout au long de la séance. Première collaboration entre Takahata et Hisaishi, compositeur attitré de Miyazaki, ce film combine le trait caractéristique de Takahata à une partition tout à fait inspirée, pour une histoire qui vous emmène voyager loin.
Sauf que...

Le film n'est pas conçu comme un conte par son réalisateur, qui regrette la traduction française. Il se veut avant tout l'adaptation complexe d'un texte très onirique, connu par la quasi-totalité des petits japonais et relatant in fine des événements et des sentiments relativement brutaux et violents.
L'ensemble n'est pas toujours évident à appréhender, que ce soit la trame même de l'histoire ou les comportements des protagonistes, témoins d'une époque -on l'espère- révolue dans un pays à la culture si radicalement différente de nos mœurs occidentales. Même si bien entendu, nous n'avons guère de leçons à donner en matière de féminisme, y compris de nos jours, mais je m'égare.
Takahata souligne d'ailleurs avec détermination qu'il ne s'agit pas tant d'un attachement particulier à cette histoire, que la volonté de préserver le patrimoine japonais dans son ensemble. À destination de la jeune génération de son pays d'origine tout d'abord, et si cela permet au passage de sensibiliser l'auditoire mondial à cette histoire si riche et somme toute si mal connue, tant mieux mais ce n'est pas une grande préoccupation pour lui.
Il explique qu'initialement il ne fit que proposer ce concept au producteur historique du studio Ghibli, Toshio Suzuki, afin de trouver quelqu'un pour porter l'adaptation. Takahata se tourna de son côté vers les travaux préparatoires de deux autres projets (il n'en a pas révélé davantage, ne fournissant pas non plus de réponse définitive à ceux qui se demanderaient si c'était son dernier film... Il ne semble lui-même pas fixé).
Il revint vers Kaguya deux à trois ans plus tard, avec cette fois l'envie d'y contribuer directement et des idées précises sur la façon de procéder. D'abord en équipe très réduite, la production pris son temps avant de faire gonfler les effectifs une fois le terrain défriché.
On s'étonne du relatif détachement avec lequel il évoque un métrage aux thématiques pourtant très primitives et universelles, porteur d'une forte charge émotionnelle.

Par ailleurs, il évoque volontiers et avec passion les challenges techniques soulevés par l'œuvre, près de 15 ans après Mes voisins les Yamada.
Le plaisir que lui a procuré l'outil informatique, permettant de s'affranchir des limites du cellulo tout en conservant des lignes de crayonné et en travaillant à l'aquarelle pour les paysages. Ce qui ne l'empêche pas de combiner à ces outils modernes des techniques d'animation traditionnelles, au fusain notamment.
Sur ce point comme beaucoup d'autres, Takahata balaye d'un revers de la main toute notion de nostalgie. Il se défend que ce soit le fil directeur de ses récits, et préfère parler d'initiation et de partage.
De la même façon, il semblait assez dédaigneux concernant la notion d'écologie, dénonçant un concept nouveau alors même que l'être humain évolue dans son milieu naturel depuis toujours.
Bref, la séance de questions-réponses fut enrichissante et parfois surprenante, avec une spontanéïté rafraîchissante et des explications souvent détaillées... à part quand les questions étaient un peu maladroites. Ces dernières donnaient souvent lieu à une réponse très succincte. J'ai pour ma part trouvé les comparaisons, lourdes et répétées, avec Miyazaki très peu respectueuses du travail de Takahata, qui a pourtant une œuvre à la personnalité très forte.

J'ai un ressenti très particulier par rapport à ce film. Il est à la fois profondément poétique et assez choquant, tant le sort réservé aux femmes et le traitement de l'héroïne mettent à plusieurs reprises mal à l'aise.
Cette ambivalence est renforcée par les choix artistiques au niveau de l'animation. Des aquarelles douces et pastels des paysages, on passe aux aplats de couleurs vives, où au soin apporté à chaque détail du décor et des personnages succède la violence et la primitivité de quelques traits rendant palpable, qui la notion de vitesse lors d'une magistrale scène de fuite, qui la détresse de la Princesse balottée au gré des caprices de son père et ses prétendants.
Bien que j'essaie, impossible de ne pas tenir compte des interventions du réalisateur qui nous a fait l'honneur de sa présence. Son témoignage apporte un éclairage, permettant de mieux cerner pourquoi cette histoire n'est qu'un prétexte, et comment le côté parfois décousu de la narration et du montage permet de rendre l'intemporalité et le message presque philosophique des écrits dont il s'inspire.
On comprend également qu'en raison de sa vocation pédagogique, le film accuse quelques répétitions et facilités, grossissant parfois les traits de caractère de ses personnages pour mieux délivrer son message.

Le conte de la Princesse Kaguya nous rappelle pourquoi Miyazaki porte une admiration si forte à son aîné, pourquoi il est dommage que ce dernier soit si mal connu et qu'on sache si peu combien il est impliqué depuis le départ et encore de nos jours dans le Studio Ghibli.
J'avoue avoir eu un petit pincement au cœur en constatant que la salle n'était pas pleine à craquer. Il s'en fallait de peu, mais ces quelques sièges vides témoignent d'une certaine injustice (même si cela peut également s'expliquer par l'horaire de la séance et, j'ai l'impression, un relatif manque de communication autour de l'événement).

Toujours est-il que je vous encourage vivement à aller partager ce moment fantastique d'émerveillement. Ils sont d'autant plus précieux qu'ils sont rares (et cela n'ira pas en s'améliorant si l'on en croit les rumeurs).

P.S. : j'étais rien moins qu'hystérique (de bonheur, hein) sur mon siège au moment où Isao Takahata a déclaré que Ame & Yuki était un film complètement raté. Il m'a vu et ça l'a bien fait rire. Achievement unlocked !
SeigneurAo
9
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le 12 juin 2014

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SeigneurAo

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