Le Conte de la princesse Kaguya
7.9
Le Conte de la princesse Kaguya

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (2013)

J'ai toujours trouvé injuste que Isao Takahata ne bénéficie pas du même crédit que son collègue Miyazaki dans nos contrées -excepté pour son Tombeau des Lucioles. En effet, si Takahata évolue dans un univers moins original, moins onirique, son oeuvre est également plus variée. Que ce soit la tragédie, le film psychologique (Omoide Poroporo), le film écologique (Pompoko), la comédie pure (Mes voisins les Yamada), jusqu'à ses célèbres séries télévisées, Takahata touche à tout et surtout réussit tout, tout en gardant une "patte" artistique dans le réalisme de ses personnages et de la description de leur vie quotidienne. Avec "Le conte de la princesse Kaguya", le réalisateur se frotte encore une fois à un style jusqu'ici totalement inconnu de lui : le conte traditionnel. Et force est de constater qu'encore une fois, c'est une réussite.


Il y a dans le film deux grandes forces qui en font sans conteste un monument du cinéma d'animation. La première étant, justement, cette animation si particulière. Les dessins, tantôt détaillés et chaleureux, verdoyants quand nous nous trouvons dans la nature, tantôt vides mais tout aussi superbes dans la capitale, toujours esquissés et peints magnifiquement à l'aquarelle, sont une merveille visuelle. Nous avons l'impression de voir s'animer des estampes, des tableaux, des cahiers d'exploration et chaque scène est un ravissement. Cet aspect crayonné rend certains personnages caricaturés, mais cela n'est pas un défaut, car de cette façon, leurs qualités et défauts sont immédiatement compréhensibles. De plus, le décor s'harmonise pratiquement constamment avec les sentiments de la jeune héroine : détaillés, colorés, en plein écran quand elle est heureuse, ourlés de blanc, un peu vide (mais non moins beaux), lorsqu'elle se sent déprimée, comme si le vide qu'elle ressent dans son coeur contaminait le décor... c'est une réussite dont le point culminant est évidemment la scène de la fuite sous la lune. Impossible d'attaquer le film de ce point de vue, tout est beau, tout est fluide. L'art de l'animation est ici poussé à son paroxysme. Décidemment, je regrette le temps ou tous les films d'animation étaient en en 2D...
Le second point fort est la princesse Kaguya (mais appelons la plutôt Takenoko) elle-même. Remarquablement définie, le soin pris pour détailler chaque aspect de sa vie nous la rend terriblement attachante. Son enfance, selon moi la plus belle partie du film, heureuse, emplie de découvertes et de plaisirs simples, puis le déchirement de son avènement dans la vie de femme et son déménagement (bien que la jeune fille reste espiègle, les moments ou elle fait tourner en bourrique sa gouvernante étant particulièrement savoureux), puis enfin sa renonciation, la mélancolie qui l'emporte, sont autant de facettes de sa personnalité qui font de Takenoko un personnage très humain -en dépit de tout ce qu'elle peut penser. En s'identifiant et en s'attachant à elle, le spectateur assiste à son départ et, sans s'en rendre compte, accepte finalement son regard porté sur la vie terrestre : peu importe que le monde soit cruel, peu importent les souffrances et l'éphémère de nos vies. Notre monde est beau, les hommes ne sont pas des monstres et notre vie vaut la peine d'être vécue. Le tout sans que ce message ne soit dit une seule fois explicitement. Merci Kaguya !


L'histoire en elle-même reste très simple, un pur conte, que Takahata respecte. Ainsi, les cinq nobles est l'une des scènes les plus longues, mais elle constitue aussi la base du conte, aussi, comment la rétrécir ? C'est là l'un des paradoxes du film : quelques longueurs qui, pourtant, se révèlent indispensables, car chacune d'entre elle révèle un nouvel aspect de l'héroine et de l'humain. Nous pouvons peut-être aussi regretter la passivité des femmes, mais ce n'est pas un défaut, car inhérent au conte d'origine -on ne peut modifier cet aspect sans modifier absolumment toute l'histoire. Bref, Takahata nous offre ici un véritable chef-d'oeuvre, qui n'échappe à la consécration ultime à mes yeux seulement pour la raison trés subjective, que je n'ai été ni émue, ni transcandée, bien qu'évidemment transportée.

Presci1508
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le 25 mai 2016

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Presci1508

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